Vie de quartier : Où le voisin meurt en gonflant des baudruches
Je crois que je t’ai déjà dit que le restaurant était situé juste à coté de LA boîte de nuit gay de Cali. Nos voisins sont donc les drôlement bien nommés Queens. J’y suis allée trois ou quatre fois, mais à chaque fois avec un taux d’alcoolémie tel que je n’ai que de vagues souvenirs des lieux, j’ai des flashes, comme dans une sorte de kaléidoscope où se croisent des visages et des corps fragmentés, ralentis, en apesanteur comme dans un rêve de Twin Peaks. Je me souviens être entrée, totalement par hasard, guidée par mon éthylisme, dans la pièce la plus au fond, sorte de back room où je n’avais évidemment pas du tout ma place mais d’où personne n’a eu le courage de me sortir. J’en suis vite repartie parce que c’était très noir, il faisait très chaud et tout le monde me regardait… Je me souviens un jour avoir commandé une demi-bouteille d’aguardiente, l’alcool colombien, une sorte d’Ouzo sans eau, qui te monte au cervelet en deux shots et te réchauffe tout ce qui dépasse et l’avoir bu avec Sebastian et un copain en environ 12 minutes, ce qui n’est absolument pas assez. Je me souviens y avoir dansé avec deux copines. Voilà à peu près tout. Le reste… Je sais que je ne suis jamais montée sur le bar. C’est con, parce que s’il y a bien un endroit où j’aurais pu le faire, c’était là.
J’ai mes entrées au Queens, parce que Hector, l’administrateur comme on dit ici (le patron mais pas le proprio) m’a à la bonne, et réciproquement. Je l’aime beaucoup, il nous a accueillis chaleureusement dès le début, nous a donné des conseils, il m’appelle Guapa, Amor, Corazon – on a déjà vu ici que ça ne voulait pas dire grand-chose mais ça fait toujours plaisir – il a de beaux yeux verts et il est le roi incontesté des lieux. Les soirs où il est en forme, il porte une couronne dorée qui semble avoir été faite pour lui. C’est un peu le Tony Gomez de Cali, en plus jeune et plus sportif et moins rouge et plus… mon voisin.
Mais depuis que je me suis Nadinisée, je ne suis plus retournée au Queens : on y allait quand on était encore jeunes, il y a 6 mois. Mais je croise toujours Hector, de jour et à jeun. On s’apprécie tout autant dans ces conditions, ce qui veut tout dire. Pour la gay pride, j’ai offert un gâteau à toute l’équipe l’après-midi, pour leur montrer notre soutien. Parce qu’être gay en Colombie, et surtout à Cali, ce n’est pas exactement comme se balader entre maris dans le Marais, tu vois... Les choses ont énormément changé en quelques années, notamment depuis la première fois où je suis venue, en 2007, où l’on ne voyait pas comme aujourd’hui des jeunes homos se montrer amoureux sans fard. Faire son coming out dans un pays si machiste, où l’insulte préférée est « maricon » - pareil que pour Guapa, Amor, Corazon, à ne pas prendre au premier degré non plus cela dit –où la sexualisation des corps et la répartition des rôles hommes-femmes est si forte, ne doit pas être évident.
Pourtant, après l’Argentine et l’Uruguay, la Colombie est en passe de devenir le troisième Etat d’Amérique latine à ouvrir le mariage et l’adoption aux couples homos. Le sujet fait débat, certes, mais absolument pas comme on a pu le vivre en France. Le gouvernement de Santos compte même deux femmes en couple l’une avec l’autre, et qui l’assument publiquement. Gina Parody, Ministre de l’Education, partage ainsi la vie de la ministre du commerce, de l’Industrie et du commerce, Cecilia Alvarez-Correa Glen.
Enfin, ce n’est pas ce que je voulais te raconter.
(Je te prépare un post sur San Andres, où nous avons passé quatre jours pas dégueu, mais au cas où, comme souvent, je ne t'écrivais finalement pas ce post, je te montre tout de meme cette vue )
Mardi soir, le patron d’un restaurant voisin est venu dîner chez nous. Lui aussi, très sympa, nous donne toujours des idées et des conseils. Donc, on papote, et il me dit : « Au fait, tu sais que Hector est mort ? ».
…
Putain, non.
La bonne nouvelle, c’est que j’ai vite compris qu’il s’agissait d’un autre Hector, que je connaissais aussi et qui bossait aussi au Queens, mais c’était un autre. J’étais contente, c’est affreux. Hector2, c’est celui qui faisait du gringue à notre jeune serveuse durant un temps, je ne sais plus si je t’avais raconté ou pas, elle passait des heures à jouer avec ses magnifiques cheveux à travers la barrière qui sépare notre terrasse de la boîte, en ricanant, en mangeant des chips et en oubliant les clients. (Elle non plus n’est plus là pour témoigner)
N’empêche que Hector2 était en train de gonfler des ballons pour son resto (le proprio de la boîte possède aussi le resto en face) vendredi soir, et Poum ! Il est tombé. Comme ça. Tué par une baudruche. Il était paraît-il malade du foie, et avait ce que l'on nomme pudiquement ici une "mauvaise hygiène de vie". Mais enfin il avait moins de 50 ans et je l'ai toujours vu sobre. Il est finalement décédé samedi, enterré dimanche. Ici les enterrements ont lieu très vite, le jour même ou alors le lendemain au pire. Nous n’étions pas là. Rommel le coiffeur m'a raconté qu'il n' y avait que 10 personnes à ses obsèques, qu'il avait eu un enfant dont il ne s'était jamais occupé et dont la mère n'était pas venue. C'est, dit-il, le patron du Queens qui a payé les frais de la cérémomie car Hector2 n'avait quasiment pas de famille, ou en tous cas personne qui n'ait souhaité/pu payer pour lui.
Tout le quartier n’a parlé que de ça toute la semaine. A la tienda, les balayeurs, les gardiens de voiture, tous les commerçants (dont nous...). Les potins sont allés bon train, les regrets aussi, la tristesse a envahi notre coin de rue. Hector2 est mort. Paix à son âme.
Comme toutes les conversations pas marrantes en Colombie, le sujet s’est finalement invariablement achevé sur cette phrase :
« Bueno, hay que seguir adelante »
[“Bon, faut regarder de l’avant”]
Je vais proposer un café à Hector1.
Je t’embrasse, colibri riquiqui. Gare à ton foie.
Je te joins quelques photos en vrac de ces derniers jours. Tu verras, ici c'est déjà Noel...
(Ici quand tu sors avec ton ou ta chérie, tu lui commandes une "cena romantica" avec ballons gonflés à l'hélium qui disent "Je t'aime". C'est comme ca...).
(Ici, tout se copie, tout tout tout... Parce qu'on le vaut bien)
(Préparer Noel sous 36 degrés, c'est vraiment bizarre...)
(Atelier cuisine à San Andres, miam le poisson...)
(Le chikungunya, transmis par les moustiques, fait encore de nombreux morts. Plus généralement, il te couche pour 10 jours, pas plus)
(San Andres, no filter, aka Paradiso)
(Je suis désolée, cette photo ressemble beaucoup a la précédente. Le paradis, c'est assez répétitif)
(Allez, j'arrete de t'embeter)
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