Une histoire de culs
Hier, à mon cours de yoga bikram, j’ai appris un nouveau mot. GLUTE. Pas gluten, non, GLUTE.
Ah oui, je t’ai pas dit, je fais du yoga bikram.
Attends, je t’appelle wikipedia.
« Le Bikram Yoga est pratiqué dans une pièce chauffée à 40,6 °C avec une humidité de 40 % et est la forme la plus populaire de Yoga chaud. Les cours de Bikram durent 90 minutes et sont constitués d'une série de 26 poses et de deux exercices de respiration. Cependant la difficulté des postures ne les rend pas accessibles à tous, car il faut être capable de les tenir une minute, et pouvoir en changer en moins de 5 ou 6 secondes. Cette discipline est très physique, athlétique voire thérapeutique. Il est nécessaire d’effectuer au moins trois séances pour commencer à trouver du plaisir et ressentir les bénéfices du Bikram Yoga. »
Hum.
Bon, j’ai donc accompagné mon amie LNA à son cours, j’ai sué comme jamais de ma vie, mais alors jamais, un truc à te demander comment un seul corps peut posséder autant de glandes sudoripares sans être répertorié par le Guinness book, j’étais trempée, mes fringues à essorer, vraiment. Une flaque, avec un peu trop de gras et des cheveux blonds…
Quand tu vis à Cali, avec 36 degrés en ce moment, faire une activité physique à 40,6 °C, c’est un peu comme manger du kouign-amann quand tu es oie d’élevage chez la Comtesse du Barry. Sauf que là, c’est pas du gras sur du gras, mais du chaud sur du chaud. Mais quelle chaleur. Quelle chaleur ! QUELLE CHA-LEUR. D’autant que le yoga n’est pas du tout ce que je pensais. C’est vachement physique. J’ai toujours cru que c’était une sorte de sieste déguisée, genre « je médite », aka je pionce l’air de rien en me faisant passer pour quelqu’un de sage et zen et qui ne s’énerve jamais, la preuve, regarde, je dors en positon du lotus et je ne te vois même pas te foutre de ma gueule.
Petite dinde inculte.
Monica, la prof, formée à NY (oui, c’est important) a fait faire des trucs à mon corps que jamais aucun homme n’aurait osé lui demander. Ni aucun vertébré. Je suis raide comme un bâton tu sais. Monica m’a trouvée très souple et « vraisemblablement douée pour le yoga ». Ecoute, en te l’écrivant, j’en glousse encore. J’ai adoré. J’y retourne demain. Ah, ça il ne m’aura pas fallu trois séances pour kiffer. J’ai mal partout mais je suis persuadée que si je m’y mets, en 3 mois j’aurais un corps de rêve. Mais bordel, c’est dur.
Tu serres les fesses pour tenir tes abdos, tu gardes les hanches droites même si tu es tordue, tu fais du 90 degré avec tes pieds, tu fais le flamant rose jusqu’à six, tu te plies sans tomber, tu mets tes fesses par-dessus la tête, et quand tu te dis qu’après tout ça, on va bien faire une petite pause, bah tu enchaines sur autre chose, de pire. Ya 26 poses, et c’est pas négociable. C’est comme ça depuis des siècles, alors c’est pas toi qui va gripper la machine.
Tu ne peux pas fermer les yeux quand tu souffles, me demande pas pourquoi, alors même que tu rêves d’expirer tout ton chaos intérieur les yeux clos, fioufioufiou… Mais non, tu dois faire ça les yeux ouverts et la bouche fermée. Et tu n’as pas le droit de boire, alors même que ta bouteille salvatrice est là, à 15 centimètres de ton tapis – mais Monica dit qu’il ne fait pas stimuler son estomac en même temps.
Tu m’étonnes…
Moi j’ai quand même un petit peu bu en cachette et le lendemain, j’ai eu la courante toute la journée. Comme quoi, faut écouter Monica. D’autant que Monica, formée à NY où ça rigole pas tous les jours, tu sens que si elle est zen comme ça, faut pas trop lui chatouiller les chakras non plus. Ton instinct te souffle (chaudement) que toute prof de yoga qu’elle est, elle a tout aussi bien pu être Kung Fu Panda dans une autre vie, dans la jungle new-yorkaise par exemple, où il faut lutter pour sa survie – pas comme ici, donc.
Triple petite cruche insolente.
Bon, bref, c’est pas ce que je voulais te raconter.
(Ceci ne m´appartient évidement pas).
Monica, donc, s’est très bien occupée de moi pour mon tout premier cours. Elle m’a expliqué les positions, et donné des instructions. Mais autant je sais dire depuis deux ans déjà hachoir, bouilloire, farine d’avoine, moissonneuse batteuse, levure, coriandre et fonte, je ne sais toujours pas dire menton, cuisse, omoplate, mollet. Mon corps colombien est un terrain inconnu à vrai dire : c’est ça d’arriver dans un pays étranger avec son mari dans sa valise. On passe à côté des premiers exercices de terrain de tout expatrié qui se respecte. C’est comme ça, écoute…
Monica n’arrêtait pas de me dire de faire un truc avec mes GLUTE. Glute, glute, glute...
J’ai enfin compris ! Les glute, c’est les fessiers.
Au yoga bikram, il faut sans cesse serrer les glute et avancer le pelvis et rentrer les abdos dans la colonne vertébrale. Rien de tel pour te faire un cul de rêve.
Sans toutes pratiquer le yoga, les colombiennes savent cela depuis très longtemps. Car le cul pour elles, c’est sacré.
La notion de « joli petit cul » n’existe pas ici.
« Beau cul », « bon cul », « sacré cul », « putain de cul », « énorme cul », « mais putain t’as vu ce cul !», ah ça oui. Mais le si parisien « joli petit cul », ces petits derrières à peine moulés dans des slims noirs ou gris, qui dodelinent gentiment sur le bitume, l’air de rien - tu me mates, c’est bien, sinon je vais te dire, je m’en tape - ici, ya pas. Charlotte Gainsbourg, à Cali, les gens lui donneraient une empañada pour qu’elle se retape un petit peu.
Le cul ici, n’est pas discret.
Il parle fort. Il aime qu’on le remarque. Il n’a jamais peur d’être trop (gros, rond, moulé). Il ne lui viendrait pas à l’idée de se cacher. Il ne se dit jamais qu’il est moche. Il s’aime, et il sait qu’on le lui rend bien. Le cul, ici, est heureux, bien nourri, bien portant. Il se pose fièrement à l’arrière des motos, bien cambré, bouteille de Perrier. Il est parfois encore là 20 secondes après que la tête soit passée, volume oblige. Il se fait doucement fouetter par de longs cheveux, qui viennent lui chatouiller la raie. Il pose en premier sur les photos, une main posée dessus. On le masse, on l’hydrate, on le gomme, on lutte contre ses cellules graisseuses, violemment parfois. On le gaine. On l’opère aussi. On lui fait des injections, on le fait doubler, tripler, quadrupler de volume. On le transforme en gros pamplemousse, voire, en deux gros pamplemousses. On lui fait des trucs de fous.
Après plus de deux ans ici, je ne me suis toujours pas habituée. Il m’arrive encore de m’interrompre dans mes conversations pour regarder passer un cul. Je ne suis pas la seule, hein, précisons-le. Mes copines aussi. Sebastian, qui a grandi ici, a développé cette hypocrisie propre aux mâles bien élevés : il mate, obvio, mais je n’arrive jamais à le choper en flag’. Je ne sais pas comment il fait. Je pense qu’il a une amplitude visuelle plus grande que la moyenne qui lui permet de voir un cul dans un angle de 90 degrés sans bouger les yeux.
Mais aujourd’hui, je sais reconnaître cet œil un peu effaré, qui crie en silence : « Non mais tu l’as vu ce CUL ??? ». Parce que j’ai le même à vrai dire (d’œil, hein pas de cul).
Parfois on se regarde et, sans un mot, on se dit à peu près ça :
- Oh putain, attention, regarde à 3 heures !
- Oh putain.
- …
- (On est bouche bée)
- Mais comment ils font ça ?
- Mais comment elle fait pour s’assoir ?
- Mais comment elle fait pour rentrer dans son jeans ?
Quand un très très beau cul passe, en général surmonté d’une petite taille ultra fine (gaine, opération pour s’enlever des côtes, 5 heures de yoga bikram par jour ?), et d’une paire de seins qui tutoie les nuages, on évite de se regarder. Ça va, faut pas pousser mémé dans les orties non plus. Je suis sympa, mais j’ai mes limites.
Pour entretenir leurs royaux fessiers, les colombiennes bossent donc leurs glute à fond.
J’en connais qui se lèvent à 5 heures du matin tous les jours pour aller 90 mn à la salle de gym. Ici, on appelle ça « la routina ». D’autres ont des coaches à domicile. D’autres ne font rien, ont des culs gros, moches ou bizarres, ce qui ne les empêchent pas de surtout bien le mouler.
Le boy friend jeans ici s’est tiré une balle depuis longtemps. On l’a enterré avec les vieux sacs poubelles.
Ce que j’adore de tous ces culs, c’est qu’ils sont fiers. Et ça les rend beaux, (presque) tous.
On parlera une autre fois du machisme ambiant, car il est réel, mais tout de même, je trouve qu’il fait bon être une femme en Colombie. Et ça ne tient pas qu’aux glutes. Ni au yoga. Un peu de gènes, un de nature, un peu de culture, un peu de sport, un peu de gras, un peu de silicone, un peu de culotte-gaine, oui oui, un peu de tout. Mais beaucoup d’amour aussi. J’aime que les colombiennes soient si épanouies. Les hommes les aiment et ça se sent. Elles s’aiment, et ça se voit.
Sur ce, je t’embrasse, gare à tes fesses, soigne les bien.
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