Lettre à Leo. Où l'on a très très chaud mais pas d'eau.
Mon cher Leo,
Je ne t'avais jamais vraiment bien regardé avant, il faut bien le dire, car comme tu le sais, niveau acteur, je suis plutôt Jean-Hugues Anglade. Ce genre de jeu tout en retenue où tu ne sais jamais si c’est fait exprès, cette espèce de naturel un peu outré, genre : « Regarde comme je joue bien, je suis français, j’ai tout appris tout seul, dans ma salle de bains de Thouars ». Bon, oui, bien sûr, tu étais chouchou dans Titanic, pas mal dans Gangs of New York, mais enfin, bon, no offense, ça ne vaut pas Les Marmottes ou Killing Zoe, ou même (mon dieu, quelle carrière…) La reine Margot, Nikita, sans oublier Braquo ! (*) Et puis, je ne veux pas retourner le couteau dans la plaie, mais Jean-Hugues, lui, n’a pas attendu 6 fois d’être nommé aux Oscar pour obtenir enfin un prix : dès 1995, la profession unanime lui décernait le cesar du meilleur second rôle… Bon, bref, écoute, il est inutile de vous comparer, vous avez chacun vos qualités, et même si je ne peux être impartiale – le cœur a ses raisons que gnagnagna… - tu t’en es finalement bien sorti pour un gars qui passait ses vacances en Allemagne quand il avait 12 ans.
Je ne t'avais donc jamais vraiment bien regardé avant, jusqu’à ce que je te vois. Tu te faisais lécher le visage par une ourse, on sentait son haleine sur ton museau, sa bave chaude qui devait te couler dans le cou, on lisait l’effroi, le vrai, dans ton regard et j’ai arrêté de respirer. Qu’allais-tu faire ? J’ai aimé que tu ne fasses pas grand-chose, justement. Avec toi, dans cette salle de cinéma de Chipichape (« notre » centre commercial) climatisée à l’excès (tu passes de 36 degrés dehors à 22, c’est horrible et c’est pas comme si tu te baladais avec ton cache-nez à Cali), j’ai serré les fesses et je me suis mise en position « Atterrissage d’urgence », les muscles tendus, légèrement recourbée sur mes parties vitales (qui ne sont pas les mêmes que les tiennes, je sais que tu as beaucoup de jeunes mannequins à satisfaire alors que moi, j’ai surtout des problèmes de transit), les ongles enfoncés dans le bras de Sebastian, la bouche ouverte. Whouahou…
J’ai adoré The Revenant. Adoré cette nature offerte en contre-plongée, ces arbres bavards, ces eaux matricielles, ces indiens variés (car ces gens n’étaient pas tous pareils, figure-toi), ces camarades revenus des morts, cette confrontation physique et psychologique avec l’Enfer, adoré ce feu de vie qui fait que, jamais, tout simplement ja-mais, tu n’abandonneras. Oui, c’est long, mais traverse-t-on le Styx en 1h20 ? Je t’ai vu Leo, et je suis passée instantanément de ton côté. Cet oscar, il était pour toi.
(Le lac Calima aujourd'hui)
Bon, bref, comme d’habitude, ce n’est pas ce que je voulais te dire. Je voulais te dire Leo que je suis tout à fait d’accord avec ton discours de remerciements d’hier.
Tu as dit ça, et ça m’a parlé :
« Le changement climatique est réel, et il se passe maintenant. Il est la menace la plus urgente pour notre espèce tout entière, et nous devons travailler collectivement, ensemble, et cesser de tergiverser. Nous devons soutenir les dirigeants du monde entier qui ne parlent pas pour la cause des grands pollueurs, mais qui parlent pour celle de toute l’humanité, pour les peuples autochtones du monde, pour des millions et des millions de personnes défavorisées, là-bas, et qui sont les plus touchées par ce problème ».
Parce que nous, ici, on n’est pas à Beverly Hills, comme tous tes petits copains. Nous ne sommes pas défavorisés, gracias a dios, mais tout de même, ici, à Cali, on se prend la planète malade en pleine face tous les jours.
Cela fait des mois qu’il ne pleut presque plus. Des mois qu’on nous coupe l’eau, parfois plusieurs heures par jour. Cela signifie qu’on a appris à l’économiser. Ne plus la laisser couler, évidemment. Se doucher avec un petit bol seulement. Récupérer l’eau de la douche dans la baignoire en plastique de ton enfant et utiliser ensuite cette eau pour tirer la chasse des toilettes. Au restaurant, faire la vaisselle de la même manière, avec un minimum d’eau. Faire des réserves dans des énormes bidons pour pouvoir continuer à travailler. Expliquer que non, on ne peut pas donner des carafes parce que y en a pas – cette dame française qui visitait notre cuisine a ainsi compris que non, on ne cherchait pas à tout prix à lui vendre une bouteille d’eau minérale, mais que les robinets étaient réellement à sec. « J’ai été mauvaise langue », a-t-elle dit, hihihi... Bah oui, chérie...
Les pelouses sont toutes jaunes, dures et desséchées, un peu comme mes cheveux à la fin de l’été, avant. Notre fournisseur de laitues et de basilic biologiques n’a plus rien à vendre. Les fraises ont augmenté. Les tomates sont vertes et sans goût. On n’a plus droit d’arroser le jardin du resto sous peine d’amende - mais certains le font à 5 heures du matin, avant que la police ne fasse des rondes. Quand il pleut, tout le monde rit, se réjouit, remercie dieu, prie pour que ça dure le plus longtemps possible. Malheureusement, en général, ça s’arrête au bout de 15 minutes. Alors on stresse de nouveau, parce que c’est vraiment la merde, cette histoire. Dramatique, en fait.
Le lac Calima, artificiel, énorme réserve pour la région de Calima, est à sec. On y faisait du bateau il y a deux ans, aujourd’hui, les vaches y mangent de l’herbe. Il fait horriblement chaud, d’une manière anormale. Le prix de l’électricité a augmenté de 30%, comme ça, théoriquement pour compenser les problèmes de sècheresse (je ne sais pas si tu te rends compte ce que ça fait une facture EDF qui augmente de 30% d’un seul coup ? Oui, voilà, mal au cul).
Bref mon Leo, si tu veux venir boire des gin tonic avec nous au resto et causer environnement, c’est quand tu veux. Tu as compris que je ne te proposerai pas de San Pellegrino, c'est hors de prix. Ici, il y a un seul ours et il est au zoo, toujours en train de dormir car il crève de chaud sous sa pierre. S’il t’embête, je m’engage à venir te sauver, parce que ça y est, tu as assez souffert. Viens, je t’attends, Jean-Hugues a piscine à Bagnolet.
Et encore merci. Et bravo. Et finalement, bien que blond, tu es très mignon.
Ta Parisienne à Cali
(*) En réalité, toi qui me connais tu le sais, mon amour inconditionnel pour Jean-Hugues est né avec Nocturne indien, que tu dois voir si ce n’est déjà fait. Un chef d’œuvre.
(le lac Calima avant)
(Bon, après, quand il pleut, il pleut... Ici, à San Andres)
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