Eux et nous : différences culturelles et téléphoniques (2)
Mon petit coquelicot givré, hola!
Chose promise, chose écrise : voici la suite des différences franco-colombiennes. J’ai vu que cela t’avais bien plu, merci. Il y a tellement à dire sur eux et nous. Et peut être bientôt qui sait, sur nous et vous… J’aimerais bien parler avec mes amis expatriés depuis des lustres, savoir à partir de quand ils sont passés de « l’autre côté », qu’est-ce qui demeure jusqu’au bout du déambulateur, qu’est-ce qui s’évapore plus vite qu’un verre d’aguardiente, qu’est-ce qui se transforme sans se perdre. Le thème de l’identité m’intéresse de plus en plus.
En attendant, abordons un point qui continue de m’être vraiment étranger ici : l’appel téléphonique, qui mérite bien un post à lui seul.
1/ Le coup de fil
Les colombiens ont une manière très particulière de communiquer par téléphone. Voici à quoi ressemble une conversation typique, au moins dans un cadre professionnel :
- Buenos dias (Toi)
- ¿Con quien hablo ? (La personne qui t’appelle)
CON QUIEN HABLO ?! (Qui me parle ?)
Le mec t’appelle, c’est lui qui te téléphone, lui qui a pris son petit calepin pour consulter ton numéro, lui qui a épluché sa liste de contacts, lui qui l’intention de te demander quelque chose, bref lui qui SAIT qui il appelle, et il te demande qui tu es…
Toi, tu décroches (moi j’ai horreur du téléphone, ça me fait toujours un peu chier de répondre j’avoue), alors que tu étais en train de faire un truc, par exemple cuisiner un nouveau gâteau, et non seulement on ne te dit pas ce qu’on te veut pour en finir rapidement, mais en plus on te pose cette question absurde : qui êtes-vous ? (Si je le savais coco en plus...)
Avec pleins de variantes :
- Le malpoli : il dit juste « Con quien ? ». A lui, j’ai envie de directement lui raccrocher au nez.
- Le GPS : « ¿De donde me responde ? » (D’où me répondez-vous ?) Je pense alors très fort « De ton cul » mais je me retiens…
- Le bottin mondain : « ¿Con quien tengo el placer ? » (Avec qui ai-je le plaisir de parler ?) Lady Di, mec…
- Etc, etc.
A chaque fois ça m’en bouche un coin.
En général, je réponds juste : « Con Lorenza ». Hum, embêtage au bout du fil… Qui est cette personne au drôle de nom et au fort accent, qui répond ? En général, alors, on demande pour Sebastian. Qui en général est en train de se faire épiler au spa, de jouer au poker, de regarder une série Marvel ou de tuer des zombies ; bref, en général, je suis seule.
Donc :
- Sebastian no esta, soy su esposa.
OK. On entre alors dans la deuxième phase de la conversation téléphonique colombienne. Les politesses.
- Muy bien Lorenza. Como esta ?
Et là, tu dois embrayer sur l’autoroute de la civilité. Sinon, tu passes pour un français mal élevé, ce que je ne peux accepter. Même quand le resto est blindé et que je sais que le mec va essayer de me vendre une friteuse.
- ¿Muy bien y usted ?
- Bien muchisima gracias (cela dit les colombiens vont toujours bien, ce qui est en soi un motif de joie). Gracias por responder!
Y patati y patata…
La, mine de rien, il s’est déjà passé un certain temps. Tu es avachie sur ton comptoir à te tenir le dos parce que tu as mal depuis 4 ans, et tu ne sais toujours pas ce qu’on te veut.
Bon, ensuite, la conversation se déroule plus ou moins normalement.
(Crédit photo : www.masculin.com)
Sauf si tu tombes sur un client potentiel qui te demande de lui expliquer ta carte.
Quand je dis « expliquer ta carte », c’est décrypter et traduire ton menu comme s’il était en braille.
[Je tiens à dire que j’ai une légère tendance à l’exagération mais que tout ce que je te décris aujourd’hui est 100 % vrai et vécu]
- Pouvez-vous me dire ce que vous avez à la carte ?
- Des crêpes, des salades, des gâteaux, des quiches, des soupes à l’oignon, des crèmes brûlées, mais aussi des viandes, du saumon…
Je trouve que c’est déjà assez spécifique.
Mais non.
- Et quel type de crêpes ?
- Chaque crêpe a une saveur dominante, cela peut être de poulet, d’épinard, de saumon, de viande, de thon, de crevettes…
- Et vos crêpes ont-elles des produits laitiers parce que l’amie de la mère de mon neveu est allergique au lactose ?
Et là, tu serres les dents, parce que tu sais que tu vas devoir TOUT expliquer. Tu penses aux copines qui ont des mecs qui mettent 90 minutes pour jouir et tu dis que ton cas n’est pas si catastrophique. Surtout, tu appelles ton serveur, patient, lui, qui prend le relais – d’autant que je ne comprends pas toujours tout au téléphone - et qui explique la recette de la quiche.
Bon, voilà, c’est rigolo quoi.
2/ Le message
Ici, personne ne laisse de message sur ton répondeur. Je suis en train de réaliser que je ne sais même pas comment on consulte son répondeur sur le portable, tu te rends compte ? C’est marrant. Au début je laissais des messages mais je pense que les gens ne les écoutent pas. En tout cas, moi, si j'en ai, je ne les écoute plus.
Tu appelles, tu tombes sur le répondeur, tu raccroches. Ne me demande pas pourquoi. Est-ce pour économiser des minutes ? Sans doute. Beaucoup de gens ont des abonnements a minima, tu peux même recharger ton compte pour 2000 pesos. Tu peux aussi utiliser des téléphones en libre service dans la rue et payer seulement ton appel. Je ne sais plus si je t’ai déjà expliqué : les gens qui n’ont pas de portable ou plus de crédit peuvent acheter des minutes aux coins de rue, à des marchands ambulants de bonbons et cigarettes en général, mais aussi dans les tiendas. C’est super pratique je dois dire et pas cher du tout (150 pesos l’appel). Tu ne paies que si ça décroche, donc je pense aussi que c’est pour ça que les gens ne laissent pas de messages.
Tu as donc un appel perdu (llamada perdida).
L’usage veut donc que tu rappelles l’appel perdu.
Et là, tu te retrouves dans la position délicate eu égard à ce que je viens de te raconter, de la personne qui appelle quelqu’un qu’il ne connaît pas. Et donc, quand ça décroche, tu dis : CON QUIEN HABLO ?
Et tu boucles la boucle, huhuhu…
(Exemple de petite échope de rue où tu peux acheter des chips, cirer tes chaussures et acheter des minutes)
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