Une Parisienne à Cali

Une Parisienne à Cali

Ce qui ne les tue pas les rend mucho mas fuertes

 

Eh bah voilà : depuis le 14 juillet, nous avons fermé le resto. Nous avons vendu tout ce dont nous n’avions plus besoin  - j’ai gardé de quoi ouvrir éventuellement, si je me motive, un petit café, 5 tables, des gâteaux, des quiches, des limonades, cafés, mini-carte, ouvert de 9 h à 18 heures, un employé, clientèle d’étrangers plutôt. Nous avons repeint ce qui devait l’être et avons finalement décidé de ne pas faire ce que nous avions un temps envisagé – caca à plusieurs dans un trou du mur + rebouchage incognito, histoire de bien pourrir l’ambiance pour celui qui serait chargé de relouer -  parce que voilà, nos amis qui voulaient courageusement nous rendre service dans cette mission délicate étaient en vacances en France et nous, plutôt constipés.

 

C’est pas plus mal. La colère et l’amertume, c’est moche et nul, en fait, vraiment.

 

Donc, nous avons tout fait impeccable, et je remercie S. pour sa sagesse. Nous avons été irréprochables. Nous avons tout rendu parfaitement clean, propre, nickel. On reparlera éventuellement des suites du sujet le moment venu. Pour l’instant, rideau.

 

Nous avons reçu plein de messages adorables des clients de Biscuit, vraiment, le truc à te faire chialer des heures. Que c’est ici que j’avais rencontré mon mari, que j’ai mangé ici mon meilleur gâteau au citron, que je ne survivrai jamais sans la crêpe au caramel, que c’est dans ces toilettes que j’ai conçu mon premier enfant, que j’ai toujours toujours rêvé d’y aller et que justement j’allais réserver pour demain, que je ne vais jamais me remettre de la fin de ce resto, le plus chouette de tout Cali. C’était mignon. Même si je n’ai pas pu m’empêcher de me dire qu’au lieu de tant parler, il aurait fallu venir un peu plus quand nous étions ouverts, un peu comme le mec qui réalise qu’il a perdu la femme de sa vie lorsqu’il la voit dans les bras d’un autre. Mais tous les messages nous ont vraiment fait chaud au cœur.

 

Et bien sûr, tout le monde nous assurait que ce qui allait suivre serait forcément meilleur. Parce que Dieu le voulait, et parce que globalement, c’est ainsi que fonctionne le monde vu d’ici : tout arrive pour une (bonne) raison et le meilleur reste toujours à venir.

 

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Oh la belle petite grenouille mignonne ! Ouais. Tu devrais revoir un peu tes goûts. Cette beauté visible au zoo de Cali est très dangereuse #dendrobate

 

 

Je réalise en t’écrivant qu’il y a un truc majeur et crucial de la société colombienne et des Colombiens dont j’ai omis de bien te parler jusqu’ici, honte à moi ! Le courage et l’absence de plainte érigés en habitude de vie chez tout le monde ici. En 4 ans et demi, je n’ai jamais entendu quelqu’un se plaindre de son sort. JAMAIS. Et pourtant, des drames, il y en a eu. Les Colombiens prennent tout, ou presque, avec le sourire, ou, sans aller toujours jusque-là, une dignité stoïque et courageuse qui ferait passer la reine d’Angleterre pour une pleureuse professionnelle de Côte d’Ivoire. Le truc de fou. Au début, avec S., ce que je prenais pour une absence d’empathie m’a énormément choquée. Y avait-il un cœur derrière tous ces poils ? En France, quand il t’arrive une merde, ou pire, tu es habitué à ce que les gens prennent des mines atterrées, désolées, voire, pleurent un peu avec toi, t’écoutent des heures s’il le faut, te laissent raconter 10 fois la même histoire sans ciller, prennent ton parti – « cette pauvre raclure de chiottes mourira (sic) en enfer dans les pires souffrances avec Mireille Mathieu en fond sonore ! » - bref, on a nos petites méthodes à nous pour faire passer le truc. Ici, ça ne se passe pas comme ça.

 

Je t’avais déjà parlé des moqueries qui tombent sur toi en cas d’infortune, là, on va tout de même un peu plus loin. Décès, accident de voiture, perte d’un emploi, mort d’un parent, je n’ai jamais vu personne s’apitoyer sur son sort. Les faits sont relatés sobrement, sujet-verbe-complément. L’entourage écoute, pas longtemps, parce que la « Victime » ne s’attarde jamais sur son sort. Très vite, d’une pirouette, elle passe à autre chose et rend la parole aux autres, pour que tout reprenne un cours apaisé. Je réalise que je n’ai même jamais vu quelqu’un pleurer, moi qui chiale comme une madeleine – quoique cela fait longtemps, finalement.

 

Je pense à une cliente devenue une connaissance ++ qui arrive un jour et me dit que sa sœur a fait une septicémie après avoir accouché de son bébé à l’hôpital, qu’elle est rentrée chez elle mais que très vite, elle a perdu connaissance, qu’elle est dans le coma, que le cerveau est touché, que les médecins pensent qu’elle ne s’en sortira pas, si elle en réchappe, elle sera quoi qu’il en soit mentalement attardée à vie et ne pourra plus marcher. Le tout, sans une larme, ni un rictus, à peine un œil plus brillant que la normale. Et que si je peux lui faire un café gourmand comme d’habitude, merci beaucoup. Pourtant, elle était très affectée, je le sais.

 

Ou notre ex serveur du WE de 21  ans à qui je demande un jour ce que sa mère fait comme travail et qui me dit dans un grand sourire : « ah nan, ma mère elle est morte quand j’avais 5 ans, on lui a tiré dessus pour lui voler sa voiture ! » et ensuite s’excuse 10 mn de m’avoir gênée avec son histoire – véridique.

 

Je pense à Ines notre cuisinière qui m’a dit un jour « Moi je ne pleure pas parce que si je devais pleurer à chaque fois qu’il m’arrive un truc qui fait pleurer, je ressemblerais à un raisin sec ». Et je pourrais te citer 15 exemples du même genre.

 

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Le jour du match de la Colombie avec Ines, Bertha et Carlos. Aucun d'eux ne s'est jamais plaint à aucun moment ni ne s'est montré inquiet et de fait, ils ont tous trouvés du boulot en environ 50 secondes. 

 

Les Colombiens sont à la fois fascinants et flippants avec ça. Je les admire infiniment pour leur courage, mais je ne peux pas m’empêcher de me demander où ils mettent leur chagrin. Sérieusement ? Dans l’aguardiente ? Dans la salsa ? Dans les bagarres qui tournent mal en 3 minutes pour un truc débile ? Ils le ravalent ? Ils ont une petite porte secrète dans leur cerveau qui débouche sur une chambre noire où des bébés phoques dissèquent des petits chatons ? Ont-ils tellement souffert que leur niveau de tolérance est au-dessus des simples émotions humaines ? Pleurent-ils seuls dans le noir une fois que tout le monde est couché ? Il y a un proverbe colombien qui dit : « Le visage se voit, mais non pas le cœur. » Je vois parfois dans la rue des visages fermés, des yeux muets, des têtes baissées, des doigts emberlificotés. La peine est là, évidemment. Mais elle est solitaire, ou réservé à un cercle ultra proche.

 

Tout ça pour te dire que je suis hyper heureuse. Nous sommes hyper heureux d’avoir fermé le resto. Oui, l’avenir sera meilleur. Oui, tout arrive pour une raison. Oui, nous sommes vivants. Oui, on a des milliers de trucs à faire. Oui, c’est absolument euphorisant de se balader un samedi soir dans Cali et d’aller boire un verre dans un bar, sans avoir à penser à la réservation de 21 heures qui n’est pas arrivée. Parce qu’on s’en fout ! Complètement ! On est LIIIIIIIIIBRES ! Avoir un resto, c’est un peu comme se taper la tête contre un mur : quand ça s’arrête, mon dieu que c’est bon.

 

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2014-2018. Quatre ans entre ces deux photos. Entre temps, on a installé le wifi. Code : Biscuit/ Mot de passe : Paris2017. De rien. 

 



09/08/2018
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