Tirs longue distance - touché.
J’ai commencé ce post dix fois, lu d’excellents papiers qui disaient parfaitement ce que j’aurais voulu dire, celui-ci notamment, tellement juste.
Qu’ajouter a tout ce qui se dit et s’écrit déjà tellement, et souvent si bien ?
Je suis sèche.
Pour la première fois, je crois, tu vis un truc que je ne peux pas vraiment comprendre. Je suis tellement loin, je rate tellement de choses que rien ne pourra jamais compenser. J'aurais beau essayer, il y a des choses qui ne s'expliquent pas. C'est terrible.
La distance n’empêche pas la douleur et la compassion, évidemment, ce n’est pas le problème. Moi aussi j’ai chialé, regardé les infos non-stop, vérifié les signalements « en sécurité » de Facebook, etc... C’est mon pays, « mes gens » qui ont été attaqués. Je suis concernée. Mais ce n’est pas moi qui prend le métro avec la peur au ventre, qui sursaute quand une ampoule explose, qui boit un verre en terrasse avec une sorte de début de colique que je cache en riant très fort, pas moi qui ai à me justifier de ma peur ou de mon courage ou de ma témérité peut-être imbécile, pas moi qui ai des collègues qui ne reviendront jamais de leur date du vendredi, qui suis allée sentir la mort aux abords du Bataclan parce que je devais le faire. Pas moi dont la fille de 6 ans "joue aux attentats" à la récré, dont le fils ne veut subitement plus aller au foot, pas moi qui était en train d’organiser une méga fête et qui ai vu la moitié de mes invités, journalistes, partir bosser en catastrophe, sans doute un peu avinés. Pas moi qui fais des lapsus et écris « meurt » au lieu de « merci » dans mes messages, pas moi qui ai couvert tous les conflits de la planète ces 7 dernières années et me retrouve tout à coup à chialer en plein Xe, pas moi qui ai la gerbe quand j'entends une sirène de pompiers, pas moi qui trouve assourdissant ce silence soudain dans les rues de la capitale. Bref, je partage ta peine, j’aimerais en prendre un peu sur mes épaules, comme dans cette très belle chanson de Camille, Ta douleur. Je suis loin. C’est moche.
J’ai un peu honte d´être ici. Personne ne pourra jamais m’accuser d´être venue me planquer à Cali n’est-ce pas, parce que ce n’est pas exactement la Suisse, mais bon… Le 11 septembre, je l’ai vécu en direct avec Arnaud à Montparnasse ; l’élection de François Hollande avec Marion, Julie, Besma, Cora, dans le 14eme ; le FN au second tour, avec vous tous, partout; les miséres et tourments de l'actu, je les ai commentés avec Anne et Emmanuelle. Les petits riens et les grandes failles qui font notre vie, et dont on ne se rend même pas compte, elles ont cessées d’être vécues ensemble. Ça me rend infiniment triste.
J'en vis d’autres, cela dit.
Ma mère qui dit : « Je suis bien contente de vous savoir en sécurité à Cali, hein !» - la phrase que j’aurais du enregistrer, si j’avais su.
I., avec qui on s’est saoulées au gin tonic le vendredi soir, chez moi, pour évacuer la colère, la peur, le dégout – je découvre juste le gin tonic, malheur!
Yoann, un gars du sud-ouest, passé aujourd’hui pour savoir si tout allait bien, pour nous « les parisiens ».
Les discussions avec S., une amie dont je sais qu'elle l'aurait aussi été à Paris, si rassurante, posée, intelligente.
Ces clients gentils et curieux, qui posent pleins de questions, qui finissent par confier qu’ils sont athées et avec qui on s’embrasse, tellement ça fait du bien de parler avec des gens qui n’invoquent pas dieu à tout bout de champs pour t’assurer qu’Il règlera tout car Il sait tout #noprayforparisoualorsvraimentleminimum
Ma capacité à expliquer calmement que non, même si la Colombie a eu à déplorer des centaines de milliers de morts, tués à l’aveugle, sans raison, des civils à plus de 80%, durant la guerre des cartels, ce n’est pas la même chose. Qu’il n’y a pas des morts qui valent plus que d’autres, mais que ce qui vient de se passer en France a une valeur universelle que n’avaient pas les assassinats perpétrés par Escobar et tous les autres. Que ces parisiens ont été tués pour ce qu’ils étaient, culturellement, structurellement, intrinsèquement. Admettre, aussi, que si les Colombiens nous accompagnent globalement de tout coeur, le pays n'a pas la meme porosité face à la mort que nous. C'est ainsi.
Ces amis colombiens qui envoient des SMS adorables tous les jours pour savoir si tout va bien, Cathe, Carolina, Miguel, merci <3.
Cet hôtelier français vivant à Majorque et en vacances en Colombie, échoué par hasard chez nous, attiré par le drapeau sur la terrasse, qui a trouvé exactement les mots justes hier, une analyse qui parlait de cœurs vides, d’âme sèches, de déshérences. Dit comme ça, c’est un peu cliché, mais dit par Pascal, un inconnu français tombé du ciel, c’était parfait et limpide.
L’envie de tout comprendre sur la Syrie, le Liban, le Kenya, l’Arabie Saoudite, la Turquie. Parce qu’il n’y a effectivement pas que la France qu’on attaque, qui souffre et qui lutte.
L’envie de te redire que je t’aime et que je pense à toi, mon beau pays ; de vous embrasser mes chers amis, vous que je trouve étrangement plus silencieux qu’après Charlie. Je sens que vous êtes comme à court de mots. Je sais que vous ne manquez cependant pas d´idées. Continuez de les partager avec votre vieille copine, parisienne à Cali, toujours.
Ces fleurs au pied du drapeau du lycée français, sur lesquelles je ne m’attendais pas à tomber, et qui ont failli me faire pleurer comme une vache qui pisse (j'me comprends...).
Je voulais aussi vous signaler cette histoire qui, si elle est vraie, est assez dingue. Si vous ne parlez pas espagnol, en gros ca dit qu'une tuerie a été évitée dans un restaurant à Paris, suite à l'intervention de trois narcos colombiens qui étaient présents et ont dégainé leurs armes lorsqu'ils ont compris ce qui se passait. Ils seraient en voie d'etre extradés mais auraient sauvés des vies. Vous en avez entendu parler?
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