Une Parisienne à Cali

Une Parisienne à Cali

Mal du pays, largage culturel, comédie culinaire et caramel

Cette semaine, pour la première fois en huit mois, j’ai eu le mal du pays. Avant, je ne pensais jamais avec nostalgie à Paris, ou alors, avec un petit sentiment de supériorité, sur le mode : « Paris, oui, merci, je connais, mais j’ai préféré vivre ailleurrrreeee ». Je me la pétais un petit peu dans ma tête, genre je suis expatriée tu vois. Et puis, il y a eu un truc qui m’a fait basculer. Quelqu’un qui vit depuis 40 ans à l’étranger m’a envoyé une vidéo alarmiste sur la situation en France, sur le mode rien ne va plus, regardez ce qu’ « ils » font de notre pays, houlalala-tout-fout-le-camp. C’était un reportage truffé d’erreurs, une grosse fumisterie, vraiment n’importe quoi. Mais pour quelqu’un qui est parti depuis si longtemps, cela pouvait passer pour crédible. Et je me suis demandé : «  A partir de quand ne connait-on plus son propre pays ? A partir de quand ne peut-on plus démêler le vrai du faux concernant sa patrie? A partir de quand est-on français, certes, car cela ne part jamais, mais penche-t-on plus du côté où l’on vit que de celui où l’on est né ? »

Je ne voudrais pas avoir l’air de citer Platon, surtout à mauvais escient, mais j’ai repensé au mythe de la Caverne, le vrai, le perçu, le réel, l’imaginaire, la vie en décalage, le tout passé à la moulinette du sentiment d’expatriation. En parlant avec ma chère belle-sœur, j’ai découvert le concept de « Choc culturel inversé » : ne plus se sentir chez soi dans un « chez soi » qui n’est plus totalement chez soi – une répétition dans ma phrase sur le chez soi, non, je ne vois pas ? – ne plus savoir où l’on habite, littéralement.

Cet article sur le sujet m’a semblé intéressant : il est à lire ici.

Je te mets un court extrait, qui concerne ceux qui rentrent après un temps d’exil :

 

 “L’une des plus grandes difficulté de l’expatrié qui revient est l’isolement. Déjà déconcerté par le retour dans un environnement différent de son quotidien depuis plusieurs années, l’expatrié doit affronter le fait qu’il s’agit de son propre pays (réaliser qu’on ne se sent pas “chez soi” dans son propre pays peut être un traumatisme difficile à surmonter, surtout quand on a idéalisé ce retour au pays depuis plusieurs années). Pour cela, l’expatrié qui revient doit gérer sa perte de repères, la masquer devant ceux qui sont restés au pays tout ce temps et qui auront de la difficulté à saisir le sentiment de déracinement, voire carrément de choc culturel. En plus de la fatigue “sociale” qui peut être engendrée, du stress lié à la tonne de formalités qu’il faut effectuer (personne ne fera d’effort pour comprendre vos fiches de paye en anglais ou vos déclarations d’impôt québécoises) il faut gérer le stress lié à la difficulté de se réinsérer professionnellement et lutter contre l’envie irrépressible de repartir sur le champ retrouver sa “vraie vie” que l’on sait ailleurs.”

 

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(Vente d'arepas dans la rue)

 

Je me demande comment je serai dans 10 ans. Je me vois ne plus savoir aller de Pyramides à Porte d’Orléans sans regarder un plan, pire, sans demander à quelqu’un. Je me vois trouver que les minirobes en filet de poisson fluo c’est très seyant, même a 50 ans et même quand on fait du 100F - je suis sure que je vais finir par être intoxiquée par la mode d’ici, je lutte mais merde c’est dur ! Je me dis que je ne connaitrai pas la moitié des candidats à la présidentielle de 2022. Que je regarderai des reportages sur la France en me disant : « Quel beau pais, j’aimerais bien aller y passer quelques semaines, un jour, para connaitre, que pena que je ne hablo plus francés ». Je me vois trouver les françaises négligées, les français barbus, François Hollande séduisant. Porter un regard extérieur sur mon pays quoi – meuh oui, il a son charme François, je dis ça pour t’embêter…

Ça me trouerait vraiment le séant de me retrouver un jour à Paris et qu’on me prenne pour une Clermontoise ou une Niçoise ou une ce que tu veux, mais pas une parisienne ! Je dis ca sans snobisme, tu sais qu'en vrai je suis picarde, mais juste, qu'on pense que je ne suis "pas d'ici". Et que, de fait, je ne sois plus de la-bas. Rien que de l’écrire, j’en ai mal au ventre (OK, c’est peut être aussi lié au fait que j’ai rien bouffé depuis 48 heures, je suis presque toute maigre, si tu me voyais ! Mais manger quand on a un restaurant je crois que c’est comme déboucher des toilettes quand on est proctologue, tu n’as pas du tout envie).

Je crois que j’aurais beau essayer de continuer à lire Libé, peu à peu, je vais perdre le fil.

Sans me projeter aussi loin, je perçois déjà des décalages. Mes amis qui vont dans des restos dont je n’ai jamais entendu parler, qui s’extasient pour des films dont je ne savais même pas qu’ils existaient (Lionel et Mommy, oui, je ne suis quand même pas passée a cote de la blague Mommy-Momie4 tout ça, ouf, merci Facebook ; Anne qui va voir le dernier Woody Allen en avant-première, ah oui, c’est vrai, il y a un monde où existent Woody Allen et les avant-premières). Les expos que je ne verrai jamais, même celles de mes artistes préférés. Ma mère qui me dit qu’elle a peur des attentats à Paris – des attentats, comment ?, mais de qui, de quoi ? Bref, je me sens parfois en voie de gros largage. Il y a une vie qui continue pour vous là-bas, et ce n’est plus la mienne. Jusqu’à quand y aurais-je encore une place ? A partir de quand mes années colombiennes compteront autant que mon époque parisienne ?

 

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(Sortie sous temps pluvieux)

 

Le pompon a été atteint quand j’ai revu mon ancien collègue Marcelo, de passage à Cali avec son épouse et que j’ai fondu en larmes en le trouvant prés de mes crêpières. Le voir, lui, ici, dans mon nouvel environnement, c’était comme un bug spatio-temporel qui m’a troublée. Il est arrivé avec des cadeaux de mes collègues, Elise et Benjamin, ça a achevé de me briser le cœur. Après, j’ai noté sa mine quand il m’a vue avec ma charlotte sur la tête et mon tablier – je dois dire que je n’avais jamais envisagé le potentiel érotique d’une tenue de cuisinière mais je perçois parfois certains regards qui puent le chocolat, c’est très chouette, essaie toi aussi de te mettre une charlotte, tu verras – et j’ai lu dans son regard : « Mais qui est cette dame un peu rouge et drôlement habillée? ». Ca ne m'a pas genée, remarque.

Parfois, donc, je donnerai cher pour passer deux heures rue de Châteaudun, boire des mauresques en terrasse avec mes amies chéries, faire une razzia chez H&M, parler de l’amour, de l’ennui, des potins, de cellulite, pour m’emmerder en reunion (juste un peu, hein, C. !), monter dans le 96, pour avoir froid, porter des chaussettes, me faire une bouillotte, manger un maroilles avec du bon pain, aller essayer les rouges a lèvres chez MAC, pour embrasser mes parents, pour aller à Compiègne en week end et trouver ca chiant comme ville, pour aller courir en forêt, pour me perdre rue de Seine, flâner rue Montorgueuil et finir au Café noir, regarder la vitrine de Jérôme Dreyfuss, essayer des bottes rouges, m’extasier pour la 16 millionième fois devant la Conciergerie la nuit, pour aller jusqu’à la grande roue des Tuileries et ne pas monter dedans. Tant de choses, finalement.

Du coup, j’ai pensé à tous mes amis expatriés. Je ne m’étais jamais vraiment dit que leur pays pouvait leur manquer, après tout ils avaient choisi de vivre ailleurs, non ? Personne ne les avait obligés. Oui, mais n’empêche. Je les ai interrogés. En vrac, ils m’ont plus ou moins raconté les mêmes sentiments, des choses qui parlaient de fromage, d’amitiés vraies et anciennes, de Monoprix, de saucisson, d’éducation, de Zara, de petit blanc sec, de pique-nique, de terrasse, de vrai beurre breton demi-sel, de virée en scooter au-dessus de la Seine, de clopes fumées tranquillos. Un kaléidoscope d´émotions et de nostalgies variées, à la fois personnelles et universelles.

Bon, voilà, rien de grave, mais simplement, ça m’est arrivé, le mal du pays, pour la première fois de ma vie. Ça ne veut pas dire que je ne veux plus vivre à Cali, je crois qu’il y a ici des délices dont je ne pourrai plus jamais me passer – même si la vie m’a appris à ne jamais dire jamais – mais juste que je suis un peu en manque. Voilà.

 

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(Ici, meme les mannequins ont des gros seins)

 

A part ça, quelques nouvelles de Biscuit.

Comme je te le disais la dernière fois, nous faisons les montagnes russes émotionnellement, c’est TRES intense. Il y a des jours, en début de semaine surtout, où nous n’avons personne, ou presque. En ce moment, c’est l’«  hiver » ici, c’est à dire qu’il pleut pas mal et qu’il fait vraiment froid, pour te dire, nous avons eu 20 degrés mardi, je ne sais pas si tu peux comprendre, c’était dur.

Ces jours-là, le caleño ne sort pas de sa maison.

Dans ces moments-là, quand tu scrutes désespérément le coin de la rue en attendant le client, que des gens passent, te regardent vaguement mais ne s’arrêtent pas, j’ai un peu l’impression d’être une pute à Amsterdam, coincée dans sa vitrine, juchée sur un tabouret dont personne ne voudrait me faire descendre. C’est assez désagréable, d’autant qu’il faut quand même la payer, cette loupiote rouge, client ou pas.

Et puis, cinq minutes après, il arrive que débarquent dix personnes en même temps. Vite, vite, il faut se recoiffer, se repoudrer (je brille avec ce climat, l’horreur), se laver les mains, mettre son tablier, sa charlotte, faire des salades, sortir les saucisses, couper les tomates, refaire de la sauce roquefort, aller demander si tout va bien, oui oui tu es française, essayez donc mon crumble, il est terrible. Et là, en cuisine, tout le monde se tait, concentré, l’air est comme dilué, ralenti, on n’échange pas un mot mais chacun est à sa tâche, on se frôle entre le four et la gaufriére, on glisse parfois sur une orange tombée par terre, mais on se rattrape sur la mandoline (OK, ca, ça ne concerne que moi, je sais pas pourquoi), on guette les commentaires en salle, on jette un œil à travers le ventilo – ça va, ils ont l’air content. Il y a de la comédie, du jeu, de la mise en scène, c’est une prestation physique, un spectacle que nous jouons à quatre, avec chacun son rôle. C’est extraordinaire.

Quand le rideau retombe, on est rincés. On se raconte en boucle la soirée – « putain, t’as vu Panacotta comme elle a plu au Monsieur de la 4 ! », « J’ai cru que t’allais jamais la sortir Reine avec son œuf miroir », « Tu vois qu’elle a du succès Soupe froide a la courgette ! ». On voit ce qu’il faut améliorer, encore. Mais on est beaucoup moins stressés qu’au début, c’est fou ce qu’on a appris en trois semaines, tout est plus fluide, moins grave. On se marre aussi, comme hier, quand le serveur du restaurant mexicain d’en face est venu nous commander trois crêpes à emporter pour son patron ou quand le boss de la boite gay d’a coté a surgit passablement allumé avec des cornes de diable lumineuses et qu’il nous a fait une sorte de déclaration d’amitié. C’est chouette, quoi. Mais très dur, je me répète mais c’est vraiment dur.

Bon ma fraise des bois, je dois aller faire de la pâte à crêpe et du caramel. Demain, c’est l’inauguration des nouveaux terrains du Lycée français et on tient un stand. Ils attendent 1000 personnes. Je t’envoie en pensée des morceaux de ma tarte Sissi, amandes et fraises, elle déchire. TQM.

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(Vue du marché de l'Alameda, oú j'achete mes fruits et légumes et oú on continue de me prendre pour une touriste. Je ne désespere pas d'avoir acces a des prix normaux dans 10 ans).

 



17/10/2014
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