Du danger de ne pas se purger et autres complications géostratégiques
Tu sais que le dimanche, nous allons au club, c’est à dire un chouette endroit avec piscine, bonne bouffe, bière fraîche à gogo, un lieu sans risque ou les enfants jouent pendant que les parents refont le monde, tapent dans un ballon, lisent des magazines, bronzent, mangent des chicharrones, au choix (devine ma catégorie – indice, Ya pas de foot dedans), et pas grand-chose de plus puisque le but, justement, est de ne RIEN faire après avoir travaillé toute la semaine comme des brutasses.
Oui, je sais, je ne suis pas à plaindre. Tu m’as entendue râler ?
En général, au club, on retrouve des potes de Sebastian (je ne désespère pas d’y donner un jour rendez-vous aussi aux miens, puisque je commence enfin à avoir des copines ici à Cali, je t’en reparlerai). Donc, il y a deux semaines, nous mangions des marranitas - mon plat gras préféré je crois, il s’agit de boules frites, un agglomérat de chicharrones et de plátanos verdes, c’est une spécialité de la Valle del Cauca, rien que de t’en parler, j‘arrive plus à fermer mes jeans – en buvant du jus glacé de lulo, un autre délice pas aussi calorique, et en papotant avec trois couples d’amis. Entre la tostada et la chuleta, la conversation est venue sur le thème de la sécurité.
(La semaine d’avant, on avait parlé purge, on varie les plaisirs... Pas les purges de l’Armée rouge, non mon lapin, les purges gastriques.
Oui, ici les gens se purgent une fois par an, à cause des amibes.
Non, je ne l’ai encore jamais fait.
Oui, je te raconterai si… Je ne sais pas trop comment ça marche, j’ai juste compris qu’on ne pouvait plus boire d’alcool durant deux semaines après, donc je vais plutôt apprendre à cohabiter encore un peu avec les petits habitants de mon estomac. D’autant que j’ai un transit tout à fait normal et absolument pas plus mal au ventre qu’en France)
Donc, la sécurité. Je t’ai déjà dit que les colombiens sont très paranos. Et il y aussi, je crois, une sorte de plaisir malsain à se raconter les histoires horribles arrivées a des connaissances, généralement vraiment très très éloignées, des coups de pas de bol du gars au mauvais endroit au mauvais moment (Oh, salut Maman, tu es là, je ne t’avais pas vue !). Non aussi, en France, on aime bien ça, faut pas se cacher derrière son petit doigt, je pense que c’est universel, on aime se faire frissonner avec des trucs bien moches. Ya des gens qui aiment se raconter des histoires de maladies, des histoires de deuil, des histoires d’amour qui finissent mal, voire des histoires de cancéreux largués le jour de la mort de leur père... Moi, je suis comme ma copine Anne, je refuse désormais les trucs avec des enfants, mais je ne crache pas sur un petit ragot impliquant une nana qui se fait dégager le lendemain de ses fiançailles alors qu’elle avait déjà acheté la pièce montée, ou des couples qui divorcent pour se remarier avec leur beau-frère, voire leur beau-père, voire leur premier mari, ou le fils de leur meilleure amie, des trucs people tordus rigolos. La vie, quoi.
Bref, ce jour-là au club, après avoir raconté en rigolant pour la millième fois l’histoire de ce copain victime d’un paseo millionario (le paseo millionario, c’est un enlèvement express par un chauffeur de taxi, qui t’oblige, sous la menace, a t’arrêter dans le plus grand nombre de distributeurs automatiques pour lui refiler le butin avant de te laisser filer) ou l’histoire de ce pote qui a entendu du bruit dans sa rue la nuit et qui est descendu en caleçon avec une machette a la main (tu le crois que c’est le même mec, je te dis que c’est une histoire de pas de bol…), chacun a commencé à lister ses propres habitudes sécuritaires personnelles.
J’écoutais d’une oreille distraite – je préfère les histoires de purge, j’ai déjà fait mon coming out scatologique ici.
Et puis quand même.
M. a raconté qu’il ne prenait jamais le même chemin pour rentrer chez lui, pour ne pas avoir d’habitudes qui pourraient être identifiées.
C. a raconté qu’elle faisait toujours en sorte qu’une moto ne puisse pas passer entre sa voiture et le trottoir.
S. a redit que s’il voyait une voiture avec les feux de détresse en pleine nuit, il ne s’arrêtait jamais, au grand jamais, pour aider : il y avait plus de chance d’avoir affaire à des malfrats qu’a une honnête crevaison.
R. a dit qu’il fallait se méfier de Facebook, de ses géolocalisations qui permettaient de savoir ou allait vos enfants à l’école, et quels étaient vos emplois du temps.
C. a raconté qu’elle avait deux sacs à main dans sa voiture, le vrai et un faux, rempli de vieilleries, pour avoir quelque chose à donner immédiatement en cas de braquage a un feu rouge. Elle a raconté aussi une histoire impliquant sa mère, un collier, et un voleur traîné sur des dizaines de mètres, la main coincée dans la fenêtre relevée.
A., qui a été séquestré lorsqu’il était ado, écoutait en silence en souriant.
J’aurais préféré causer silicone et tequila.
Car je me suis aperçue que j’avais pris des habitudes, moi aussi.
Mon sac est toujours à mes pieds dans la voiture. Quand je monte dans cette dernière, j’active immédiatement le blocage automatique des portes. Quand je rentre seule chez moi le soir, je garde à portée de main l’alarme de la maison, et son bouton panique relié à la police. Si je conduis seule la nuit passés 22 heures et que je peux passer les carrefours sans danger, je grille les feux (c’est toléré la nuit paraît-il). Je ferme mon sac à main – bon, ca, tout le monde le fait dans le monde entier, sauf moi, avant. Je ne porte plus jamais mes bijoux – et pourtant, gracias a dios, je pourrais rendre jalouse la Castafiore… - je n’ai jamais d’argent sur moi (mais comme avant en France), je ne porte pas de marques non plus (ici personne ne connaît Jérôme Dreyfus de toutes façons). Je ne prends que des taxis que je commande par téléphone via le G7 colombien, et jamais directement dans la rue. Voilà, rien de plus en réalité.
(La peur au coin du zoo #catlover)
Bon, ensuite nous avons parlé de choses normales (quoique pour eux, c’était une conversation tout à fait normale cela dit), et je suis passée à autre chose. De même que je ne regarde pas de films d’horreur car je n’aime absolument pas avoir peur, même pour rire, je ne suis pas fan de ce genre de conversation. Je crois que la peur alimente la peur, et sans faire l’autruche, je ne suis pas du genre à gratter les vieilles croûtes de genoux pour voir comment ça fait quand ça ressaigne. Sans être inconsciente, j’essaie de vivre le plus tranquillement possible sans penser à tous les malheurs qui nous attendent, tapis derrière le « tout allait bien jusqu’au jour où… ». Sinon, on ne s’en sort pas. Ça vaut pour Cali, comme pour Cergy, Place d’Italie ou Capri.
Et quand mon cœur s’emballe parfois, si je suis seule dans la maison par exemple, je respire longuement pour reprendre le contrôle de mon esprit, et je pense aux Ch'tis à Mykonos. Ca me détend immédiatement et ça me rappelle qu’il y a de vrais raisons de flipper dans l’existence.
J´étais donc repartie vers d’autres horizons (cuisiner, faire des courses, rater mon brushing, avoir chaud, cuisinier, faire des courses, rater mon brushing, avoir chaud), quand nous avons reçu un mail d’une connaissance parisienne qui souhaitait venir en Colombie en vacances cet été et nous demandait des tips. C’est le troisième cette année, je trouve ça génial que de plus en plus de Français, trentenaires ou plus, aient envie de venir, en couple ou en famille, découvrir ce pays. Il nous écrit un mail et nous joint ce lien du ministère des affaires étrangères, ici. Ca dit notamment : « La Colombie est un pays dangereux où près d’un quart des homicides sont dus au conflit armé et où les étrangers constituent des cibles de choix pour la délinquance, y compris parfois dans des zones réputées plus tranquilles que d’autres. »
Et il écrit : « Le ministère des affaires étrangères indique qu’il ne faut pas aller à Cali, sauf pour raisons impératives ».
QUI EST LE MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES DEJA ?
Appelle-moi Laurent Fabius immédiatement.
Non mais sérieusement, c’est grave d’écrire ce genre de choses sur un document officiel à destination des touristes…
Par curiosité, je suis allée voir ce que Laurent disait, au hasard, du Burundi. Je pensais le coincer, mais non, les derniéres mises au point ont été faites – bon Laurent n’est pas non plus le dernier des imbéciles. Mais même les Bahamas de nuit, présentent des dangers. Du coup, je suis allée voir ce que dit le site de la Belgique, au pif :
« Risques terroristes
Le 24 mai 2014, un attentat meurtrier a été commis dans le centre de Bruxelles.
Le 15 janvier 2015, une vaste opération antiterroriste de la police fédérale a été menée en province et dans la capitale. Le niveau d’alerte national a été relevé à cette occasion de 2/4 à 3/4. Il est recommandé de faire preuve d’une vigilance renforcée dans les transports publics et les lieux les plus fréquentés, comme aux abords des institutions internationales, nombreuses à Bruxelles, et de se conformer en toute occasion aux instructions des autorités locales. En cas d’urgence, composer le 112. »
Bon, bref, j’avais pigé : le boulot de Laurent c’est d’avoir peur pour toi et de te dire de ne pas marcher trop près du bord parce qu’on peut toujours tomber. Laurent, c’est un peu notre super Maman à tous, celle qui n’oublie jamais que vivre tue.
Remercions-le.
Mais sachons raison garder.
(Un joli trou)
Je me sens parfaitement en sécurité ici, même si je suis sur mes gardes et même si je sais que nous appartenons à une partie ultra favorisée de la population, ce qui suscite évidemment des convoitises. Comme je te l’ai déjà dit aussi, en près d’un an et demi, il ne m’est strictement rien arrivé, pas même un coup de coude, un croc en jambe, un mauvais regard, une altercation, une blonde qui me pique une robe en solde, un vieux qui me double à la caisse du supermarché avec un œil vicelard, rien. Je m’en réjouis et je touche du bois, car c’est un fait. Il y a moins d’agressivité latente ici qu’ à Paris, je sais que tu vas froncer ton nez avec un air de parisien à qui on la fait pas, mais je te le dis aussi : c’est un fait.
Apres, si tu regardes les statistiques, tu peux t’interroger. Mais je ne sais pas si tu sais que 100% des gens qui ont regardé des statistiques se portaient exactement tout aussi bien avant qu’après – tu savais toi qu’en 1972, une hôtesse de l'air du nom de Vesna Vulovic a survécu à une chute de 10160 mètres et qu’une personne passe en moyenne 6 mois de sa vie assise devant un feu rouge ?
Bref.
N’écoute pas ce qu’on te dit, et viens voir par toi-même à quoi ressemble la Colombie. Comme le dit le dicton : « Le plus grand risque en Colombie, c’est de vouloir y rester ». C’est pas moi qui te dirai le contraire. Tu peux aussi lire ce joli texte d'une canadienne, une Lettre d'amour à la Colombie.
Je t’embrasse chinchilla des steppes argentées. Fais gaffe aux pickpockets à Notre-Dame-de-Lorette.
(Un etre en pleine purge est caché sur cette image, sauras-tu le retrouver?)
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