A mourir de rire
La Colombie est un pays où l'où rit beaucoup, surtout des malheurs des autres. Ne cherchez pas de compassion auprès de vos amis si vous vous êtes pris une chiure de cacatoès sur la tête, une porte en verre au supermarché, une amende pour la troisième fois de la semaine, une taule avec une fille que vous draguiez depuis 6 mois: on se moquera encore plus fort de vous. En France aussi on rit de tout cela, mais, avec moins d'ardeur et plus de gêne. Et au bout d'un certain temps, une âme charitable finit toujours par adresser une petite caresse à l'ego malmené de la pauvre victime. Pas en Colombie.
Ici, au contraire, on lui en remet une louche, histoire de bien l'achever, jusqu'à ce qu'il atteigne ce point où une situation est tellement pathétique qu'elle en devient comique. La chose en général se passe autour d'une bouteille d'aguardiente, l'alcool national au petit goût d'anis qui ne fait pas ses 29 degrés, compagnon obligatoire de toute existence (mariage, retrouvailles, licenciement, fin d'une journée de travail, et si on te demande pourquoi encore tu diras que tu ne sais pas...). L'opération est toujours la même. A partir d'un fait réel, rapporté par la victime ou cafté par un témoin, tout le monde brode. Aucune limite n'est posée, plus c'est gros, plus ça fait rire. Il s'agit d'exagérer au maximum.
Légende : Chariot rempli d'arguardiente (Blanco del Valle sin azucar), en prévision d'une ley seca - loi sèche - qui interdit la vente d'alcool, généralement avant une élection, ici, celle du Président de la république.
Ainsi, les 200 000 pesos oubliés au distributeur vont devenir 2 millions, laissés tomber dans la chasse d'eau d'un bar miteux où l'on avait dû s'arrêter en urgence à cause d'une gonorrhée mal soignée (NON, ne va pas voir de photos sur Google!), attrapée avec une chica cubaine et schizophrène deux ans auparavant.
Plus on invente de détails sordides et humiliants, mieux c'est.
La novia qui ne rappelle pas se transforme en puta dangereuse, aperçue en train de danser la salsa dans une boîte, accrochée au bras d'un sicario - un tueur à gage - hurlant le nom du copain : "Lo voy a matar ! Lo voy a matar ! ".
Le pote, qui, à 16 ans, a eu les cheveux vaguement longs le temps d'un été, sera appelé "la Sirène" durant les 50 prochaines années. Chaque fois qu'il rencontrera une nouvelle personne, on ne manquera pas de lui signaler que le malheureux a longtemps eu des doutes sur ses orientations sexuelles - ce qui pose encore problème ici en Colombie, en tout cas à Cali, ville provinciale à la mentalité peu ouverte - et qu'il a porté une queue de cheval jusqu'aux fesses durant 10 ans.
Tu comprends l'idée.
Et non seulement les Colombiens ont la dent dure, mais en plus, ils ont une mémoire d'éléphant. Dix fois, vingt, trente fois, jusqu'à ton lit de mort en fait, ils vont te rappeler cet épisode que tu aimerais oublier, comme la fois où tu es sortie de la salle de bains avec ta jupe coincée dans ta culotte, dévoilant ton modeste séant - c'est un exemple, hein. Ce qui n'était qu'un épisode entre intimes devient un sujet de conversation quasi national. Deux semaines après l'incident, on affirmera que tu as traversé la nef de l'église de la Merced - une des plus connues de la ville - la jupe relevée EXPRES sur tes épaules, dans le but évident de faire du gringue au nouveau prêtre argentin récemment envoyé à Cali. Ou que sais-je encore - je le répète, cet exemple n'est qu'un exemple.
Quand tu fais partie du public, tu t'amuses beaucoup. Quand tu es le sujet des moqueries, il faut savoir prendre sur soi, surtout quand on est soupe au lait comme moi. Au début, j'ai eu beaucoup de mal à supporter avec le sourire les "blagues" de mon mari, franco-colombien, notamment celles portant sur ma conduite - alors que j'ai eu mon permis du deuxième coup et que je n'ai jamais eu d'accident grave entraînant le décès de plusieurs familles incluant des enfants en bas âge, MOI.
Aujourd'hui, avec le temps, j'ai compris que j'avais une chance en or : je pouvais tout simplement faire pareil.
Crois-moi, je ne me prive pas.
Quel délice.
Surtout que le plus joli ici, c'est qu'en général, tu n'as même pas besoin d'en rajouter. Les gens, l'actualité, la nature, te font l'immense cadeau de te présenter des situations énormes sur un plateau. La preuve que je ne te mens pas, cette nouvelle vue dans le journal d'hier :
Une épidémie de VARICELLE paralyse le Palais de Justice de Cali depuis deux jours. Les employés des étages 8, 9 et 11 se sont mis en arrêt de travail, par précaution. L'entrée a été momentanément bloquée. Plus d'un tiers du personnel, quelque 1000 personnes, ont dû faire une prise de sang pour vérifier qu'ils n'avaient pas attrapé la maladie. Pendant ce temps, toutes les affaires ont été ajournées. Je crois que ce n'est même pas la peine d'essayer d'en rajouter... Je sais que c'est pas drôle, en fait, mais moi ça me fait rire.
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