Premier anniversaire de Biscuit : état des lieux. Où l'on se demande si l'on a la même coiffure que Nadine Morano
Ouch! Ça fait tellement longtemps que je ne t’ai pas écrit que je me sens toute timide. Je sais plus bien si je saurais faire. J’ai totalement perdu l’habitude, comme ta tante qui a divorcé il y a 7 ans et qui n’a jamais revu le loup depuis, et qui, du coup, préfère ne rien faire plutôt que courir le risque de se retrouver la culotte coincée dans la braguette d’un inconnu rencontré sur AdopteUnCrétinPourBaiser sans savoir quoi faire de son bras droit en position latérale droite (Sur l’oreiller ? Dessous ? Le long du corps ? Posé contre la poitrine de l’autre comme une patte de poule repliée ? Pourquoi un bras droit au juste ?).
J’ai peur, quoi.
Comme cette tante abstentionniste, j’ai failli de ne plus jamais revenir te voir pour qu’on se chatouille la plume. Et puis j’ai dit : « Non !». Pas maintenant, pas déjà, pas comme ça, pas sans avoir tout essayé. C’est bon de se tripatouiller le clavier tu sais, c’est juste que moins tu le fais, moins tu as envie de le faire.
Bon, bref, ça ne sera peut-être pas le post de l’année, mais au moins, on se sera remis en selle – j’ai la désagréable impression d’avoir déjà écrit un truc dans ce goût la, sur les quickies et tout ça. Ne rien en conclure.
Par quoi commencer ? Nous avons accumulé tellement de retard…
Par le plus récent peut être.
Samedi dernier, Biscuit a fêté son premier anniversaire. Un an déjà, c’est juste dingue. J’ai à la fois l’impression que c’était hier, parce que les mois ont filé à la vitesse de l’éclair, et que c’était il y a 15 ans, parce que cette année de travail de fou m’a méchamment alourdi le compteur. Je ne suis définitivement plus cette fraîche petite dinde parisienne que tu as connue, rigolote et bébête, qui dort suffisamment et n’a rien d’autre à faire que se regarder les capitons, juchée sur ses talons. Non. Je suis une chef d’entreprise en Crocs avec une petite bedaine qui se demande si elle n’aurait pas par hasard exactement la même coiffure que Nadine Morano – le carré blond c’est vraiment, définitivement, à manier avec beaucoup de précautions… Je bosse. Je ne sais pas comment je paierai ma retraite. J’ai arrêté d’être trop gentille. Je sais évaluer les gens – branleur, bosseur, hâbleur, voleur, versatile, valeur sûre, sympa mais qui ne le restera pas, profiteur, pépite à garder à tout prix, gros potentiel, parasol chinois qui se démontera au premier coup de vent (ah non, pardon ça c’est une autre catégorie).
Je sais accorder ma confiance et valoriser ceux qui peuvent nous aider, même si j’ai toujours énormément de mal à vraiment déléguer. Quand un client adore un plat inventé par la cuisinière, j’ai un petit pincement au cœur, un peu comme quand mon fils demande quand est-ce qu’il va enfin pouvoir aller dormir chez la maman de son copain Alejandro – c’est la maman qui l’intéresse, tu noteras. Mais je me dis aussi que tout cela est excellent signe : Ines a de bonnes idées et la maman d’Alejandro est très jolie. Todo bien entonces... Je pratique naturellement l’éducation positive [Call me Mimi Thorisson… ]
(Des élèves de l'Alliance française, qui compte 2000 élèves à Cali, aujourd'hui, au déjeuner)
(Des clients français venus samedi, repartis ravis - pas autant que moi)
Je sais mettre moins d’affect dans une relation professionnelle : tu sers, tu restes, tu ne sers pas, tu vires. Bon, ca, c’est la théorie, dite « Bolloré ». C’est ce que nous devrions réussir à faire avec Sebastian, un Gentil lui aussi, mais qui va nous demander encore beaucoup d’entraînement. Mais vraiment beaucoup. A la place, on se retrouve avec des employés pas toujours au niveau, à effectuer de perpétuels mouvements de balanciers, un jour : « Putain, elle doit dégager ! », et le lendemain : « Oui, mais tu vois, finalement, quand j’ai eu vraiment besoin d’elle, elle a assuré ». Parce qu’on essaie toujours de voir le verre à moitié plein, et parce que en effet, les gens avec qui l’on travaille ont leurs bons et leurs mauvais côté. Mais honnêtement, j’aurais vraiment eu besoin de cours de management, parce que je n’ai aucune idée de comment faire et qu’on va dire que ce n’est pas inné chez moi, je suis du genre à alterner le chaud et le froid, un jour trop cool, le lendemain trop conne. L’omelette norvégienne, c’est bien en croisière sur un paquebot dans les Cyclades, beaucoup moins au quotidien avec une équipe. Enfin, tu me connais, je suis quand même beaucoup souvent chaude que froide, huhuhu… Mais bon, c’est un point à améliorer. Du coup, je me remets vachement en question sur la salariée que j’étais à l’époque, et je me dis que quand je bavardais à la machine à café alors que j’avais un truc urgent à rendre, ça devait rendre ma chef dingo…
Parce que, quand tu es patron, tu ne peux pas faire du social, je suis désolée de l’écrire comme ça, sans pincettes à sucre. Quand tu diriges une multinationale, oui tu peux/dois, enfin, j’espère, un peu, en faire profiter les autres et les soutenir. Mais quand chaque pesos compte, c’est complicado. N’en déduis pas que je suis devenue un suppôt du MEDEF et que je trouve Nadine Morano, encore elle, pas-si-conne-c’est pas-vrai, parce que pas du tout tu le sais, mais voilà, il faut appeler un chat un chat, mes petits chéris. Apres un an, nous commençons à peine à nous verser le salaire minimum. Tu comprends ce que ça veut dire ? Heureusement, nous vivons bien, car nous avons peu de frais, pas de loyer, pas de temps pour sortir, et accès a une piscine de rêve dans un pays de carte postale, donc il serait très malvenu de se plaindre. Mais notre business, s’il est à l’équilibre – ce qui est déjà très bien après un an seulement – ne nous permet toujours pas de dégager de bénéfices. D’autant que nous continuons d’investir chaque mois : nous avons ouvert avec un petit budget et un engagement financier minimum, du coup, logiquement, nous devons continuellement remettre la main à la poche. Nouveaux frigos, parasols donc, carte des desserts, uniformes, éclairages extérieurs, hotte en inox, nouvelle gaufriere, roulotte en bois pour des eventos, ce ne sont pas les idées et les besoins qui manquent.
[T’es encore là, je t’ai pas perdu ? Je t’avais prévenu que j’étais devenue chiante, hein, je ne t’aurais pas pris en traître… Et encore, t’as du bol que je sois toujours incapable de te parler de compta et de fichiers Excel, ça pourrait être pire…]
Bon enfin, je ne vais pas faire ma française râleuse. Je vais voir le verre à moitié plein. J’ai très très bien appris à la faire aux cotés des colombiens, tellement positifs en tout.
Car du côté des bonnes choses, la hotte est pleine. Et celle-là n’est pas en inox. Elle est en platine.
(Les patrons, tête de cons)
Déjà, nous sommes toujours là, ce qui est une performance car ici, les negocios ouvrent et ferment plus vite que leur ombre.
Ensuite, nous sommes toujours mariés avec Sébastian – et volontaires pour l’être, enfin, je crois, hein chéri ? - ce qui est un miracle. Travailler en couple dans un tel environnement de stress est très difficile, surtout quand tu découvres que tu aurais massacré à la cantine celui ou celle qui te tient lieu de mari(e) adoré(e) s’il avait été ton collègue… Je suis bordélique, il est psycho-rigide organisé, il stresse beaucoup, je suis cooooooooooooooooooool inconsciente, je suis optimiste, il est… français (bien que colombien), je suis tolérante, il s’énerve, et je vais m’arrêter la parce que même s’il ne me lit pas, sauf si je l’y oblige, on ne sait jamais. Merci de ne pas me forcer à détailler. Nous avons des moments de rage ardoise, glaciale, du genre qui te faire griller des neurones comme une montée d’acide et te laisse KO, c’est assez surprenant comme sentiment. Mais heureusement, il nous reste l’alcool, qui nous réunit immanquablement, car nous avons aussi la bourritude chaleureuse et totalement amnésique. La vie est vraiment très bien faite.
Ensuite, nous sommes devenus restaurateurs, ça y est. Un an après, je jette un regard affolé sur ceux que nous étions le 19 septembre 2014. Si nous avions été mes enfants, je nous aurais attachés à un poteau, ligotés, jetés dans un avion pour Paris, j’aurais appelé nos anciens patrons pour les supplier de nous reprendre, même gratuitement. Tout tout tout, mais pas nous laisser ouvrir un restaurant à Cali sans aucune préparation, on peut le dire aujourd’hui, ni aucune idée de rien à vrai dire, comme ça, au feeling. Merci d’ailleurs au passage à nos parents, qui ont finalement eu assez peu de réserves, en tous cas énoncées à haute voix devant nous - le reste, hein, je veux pas savoir... – mais qui ont dû serrer les dents à s’en faire péter les grands fessiers. Nous ne savions rien. Nous avons appris, à la dure le plus souvent, mais enfin, voilà, aujourd’hui, nous avons un nouveau métier. D’ailleurs, à la douane de Miami dernièrement, à l’agent qui me demandais ce que je faisais en Colombie, j’ai dit « Tengo un restaurante francés en Cali », il a dit « Que bien ! » avec un grand sourire – les douaniers des EU sont supers sympas maintenant, ils ont dû être briefés – et je suis partie super fière – bon, même si pendant ce temps-là, quelqu’un était en train d’ouvrir ma valise et piquer mon Coulommiers bien coulant…
Ensuite, ce nouveau métier, je l’adore. J’adore être dans notre restaurant, recevoir les gens, les entendre baragouiner en français – Lady Marmalade et son « Voulez-vous coucher avec moi » a fait beaucoup de dégâts cela dit. J’aime entendre les gens me demander une fois sur deux : « C’est difficile de parler français ? », incroyable et absurde question, à laquelle je ne sais toujours pas quoi répondre… J’aime faire mon show et parler français donc, pour les voir rosir de plaisir – « elle parle français ! » - dire « Bon appétit », « Au revoir », « merci » ou encore «Grrrrrrracias » en raclant bien le R, parce que la verdad, ils adorent ça – je suis la french Jane Birkin de mon quartier, avec les fautes et tout. J’aime la tête des enfants qui m’écoutent parler et me dévisagent comme si j’étais une extra-terrestre – « pourquoi la dame elle cause comme ça ? » - yen a même une qui a gloussé durant 15 bonnes minutes, la tête dans son assiette, c’était tout de même un peu gênant, même si elle ne m’a pas jeté de pierres à la fin. J’aime mettre Zaz en fond sonore et écouter les gens chanter – Zaz est très connue ici, elle a donné un concert dans une grosse salle à Bogota, et je vais te dire, on sera sans doute pas d’accord mais tu ne peux pas avoir tout le temps raison, bah c’est pas mal du tout ce qu’elle fait, si tu écoutes vraiment, fais le test. J’aime la curiosité des colombiens pour la France, leur admiration passionnée pour notre pays, leurs questions, leur joie lorsqu’ils ont l’occasion d’ y aller – même si beaucoup font des « Packs Europe », genre Paris-Bruges-Londres-Barcelone-Rome en 9 jours, sans mentir, ce qui laisse un peu rêveur, mais bon – leur enthousiasme lorsqu’ils reviennent.
J’aime écouter les clients se taire quand arrivent les assiettes, non que nous fassions de la haute gastronomie, mais cette mine que fait toute personne lorsqu’on lui présente sa commande, mi- réjouie, mi- suspicieuse, est impayable. J’aime cuisiner et chercher des recettes mais ça, je te l’ai déjà expliqué : ça continue. J’aime organiser des eventos, baptêmes, anniversaires, fête de fin de diplôme, réunions d’anciens camarades de classe, mariage, ce stress avant que tout commence, toi dans les coulisses de ton resto devenu théâtre, juste avant le lever de rideau, et ensuite, les embrassades avec les clients heureux, et cette immense fatigue qui t’enveloppe.
Bref, j’aime mon nouveau métier.
Je n’ai pas trop le temps de visiter la Colombie, tu l’auras compris, c’est pour ça que je ne te fais pas trop rêver avec des palmiers et des Sex-on-the-Beach au bord du Pacifique, mais voilà, mon quotidien est plus prosaïque. Bon, cela dit, demain je pars pour 4 jours dans une île paradisiaque, San Andres, alors je te promets de t’envoyer une carte postale OK ? Ne râle pas, il fait ultra chaud là-bas je vais devoir mettre de l’écran total, alors tu vois…
Je t’embrasse petit cochon d’inde à moustaches. Sois sage.
(Des éleves du lycée Francais, en juin, avant les vacances, pour une session gaufres)
(La vie est dure, mais nous sommes courageux)
(Ce caissier du supermarché n'a pas vraiment compris pourquoi je voulais le prendre en photo...)
(Vue de Cali depuis les 3 cruces, une rando de HP que l'on a réussi à finir vivants - HP c'est pas Hopital psychiatrique, mais hijo de puta)
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