De la plonge, du fondant au chocolat, du spleen et un député
Je n’ai vraiment pas eu le temps de t’écrire parce que je crois que je viens de vivre les deux semaines les plus intenses de ma vie, de celles où tu regrettes d’avoir une vessie – quelle perte de temps ! De celles où tu aimerais être comme Jacques Chirac, et n’avoir besoin de dormir que quatre heures par nuit pour te réveiller frais comme un gardon – alors que toi, tu en dors cinq par la force des choses mais tu te réveilles avec une tête de Walking dead que tu te traines toute la journée. De celles où tu aimerais être un peu plus organisée, un peu plus efficace, un peu plus cool, un peu plus tout quoi, mais où tu dois juste composer avec tes limites, tes défauts, tes hormones et tes cheveux en crise d’ado.
En 10 jours, il y a eu des moments où j’ai eu l’impression d´être un vieux kleenex oublié dans une poche de jeans, passé dans la lessiveuse à 60 degrés, programme Blanc, qui en ressort en lambeaux, feutré, plié d’une manière tellement bizarre qu'on ne saurait dire si c'était un kleenex, un billet de 10, un vieux chewing gum, ou une liste de courses. Tu le connais, j’en suis sure. Il y a eu d’autres moments où je me sentais comme une bombe à neutrons soviétique, dense, forte, parfaitement bien finie, efficiente, rapide, bing, bing, boum, si tu me dégoupilles, je te refais ton salon et ton arrondissement, strate après strates. D’autres où j’étais Nadine de Rothschild en visite chez ses cousins colombiens, « ¿Bienvenidos en Biscuit, que quieren tomar ? Si, soy francesa, claro ! Tienen que probar nuestras crepes, son muy sabrosas ! », assorti d’un rire de gorge super tepu XVIeme (je te confirme, ça marche TRES bien). Bref, j’étais parfois un peu perdue, sans plus trop savoir comment je m’appelais, Laurence, Lorenza, doña Loren, Señora Lo ou Patapluche. Là je viens de dormir 11 heures d’affilée, nous sommes à la maison de campagne pour 24 heures, on s’est dit qu’il fallait savoir se détendre un peu aussi, j’ai refait des roulades inversées dans la piscine hier et ça va beaucoup beaucoup mieux. Alors, je me jette sur l’ordi pour te donner des nouvelles, mon petit lapin des forêts.
Dans l’ordre, la semaine dernière, nous avons donc ouvert et tous les amis et la famille de Sebastián sont venus nous soutenir. Un prêtre, très ami de sa tante Lucia, est même venu bénir notre négoce. Bah oui, c’est comme ça ici… C’était extraordinaire. Nous étions tous réunis dans la salle à manger, celle où il y une grande table qui fait un peu ferme, et il a fait une prière pour que nous ayons du succès, pour protéger les employés, la nourriture, le frigo et la caisse enregistreuse, tout quoi. C’était très émouvant et ça m’a donné confiance. Parfois, il faut se laisser porter par les évènements sans trop chercher à comprendre.
(La bénédiction du resto par le pretre)
Le samedi, nous avons eu des clients, des amis mais aussi des inconnus. C’est là que nous sommes aperçus que nous étions totalement désorganisés, dépassés en 10 secondes. J’avais renvoyé l’indispensable Inès, la personne qui nous aide en cuisine, vers 19 heures, pensant que tout était prêt et qu’on allait gérer. Deux heures après, j’étais en train de laver des couverts et des assiettes, pendant que Sebastián envoyait les assiettes a la vitesse de Bruce Lee (c’est lui qui tourne les crêpes, moi je manque encore de pratique dira-t-on pour être indulgent), tout en coupant de la salade, en nettoyant des carottes, en rendant la monnaie (moi, rendre la monnaie, le contre-emploi total…) et en refaisant de la crème anglaise. Panique en cuisine quoi.
Le dimanche, totalement déprimée, je me suis dit qu’on était complètement marteaux et crétins, qu’on avait quitté des boulots où on gagnait tout de même correctement notre vie dans du coton, avec genre des pauses de 30 minutes à la machine à café, des sessions shoppings à 14 heures si c’était les soldes et tout un tas d’autres délices que je ne décrirais pas ici sous peine d´être attaquée par mon ancien employeur pour cause d’excès de coolitude au travail. Je me suis dit qu’on allait mourir étouffés dans nos crêpes, qu’on allait passer les six prochains mois à faire du racolage dans la rue pour faire venir des clients qui nous regarderaient de travers, que plus jamais je n’aurais une conversation normale avec Sebastián, je veux dire, un truc où on parle d’autre chose que de sauce provençale, d’oignons confits, de farine de sarazin, de comptabilité ou de saucisse de porc. Que notre fils nous croiserait un jour dans la rue et nous dirait : « Bonjour Madame, bonjour Monsieur, enchanté de vous rencontrer, j’ai été élevé par un crêpe champignon-chorizo mais je vais très bien quand même, no te preocupes ». J’étais mal, quoi.
Lundi on a fermé, et je ne sais plus ce qu’on a fait, à part, j’imagine, essayer de dormir un peu et parler compta, sauce provençale, oignons confits, farine de Sarazin, et saucisse de porc. Jeudi midi, nous avions deux réservations pour deux groupes de dix, nous étions supers contents, on a bossé pour tout préparer dès le mardi, et le jour J, à 11 heures, les deux groupes ont annulé. Chacun avec de bonnes raisons et chacun reviendra – ce sont des amis et de la famille. Mais bon sang, j’ai eu l’impression d’avoir été oubliée par mon petit-fils de 25 ans dans une station essence, sur l’autoroute, un 14 juillet, avec la voiture qui s’éloigne et le chien qui me regarde, la babine moqueuse, confortablement installé sur la plage arrière, lui…
(Le panneau extérieur, qui a fini par arriver, après d'incroyables aventures que je t'épargne)
Heureusement, le jeudi soir, nous avions THE cocktail.
Voilà quelques mois, je suis entrée en contact via twitter avec Sergio Coronado, député des français à l’étranger pour l’Amérique latine et les Caraïbes. Quand j’ai lancé le blog, je lui ai envoyé le lien, il l’a lu et m’a écrit un gentil petit mot. J’étais très flattée, d’autant que Sergio Coronado ressemble pas mal à George Clooney. Quand il m’a dit qu’il venait pour la première fois à Cali, je lui ai dit de passer, il a dit OK. Je lui ai proposé de faire son pot de rencontre avec les Français à Biscuit. Il a dit OK. Et voilà, aussi simple et cool que ça… Rendez-vous était donc pris pour un apéro jeudi 25, 19 h 15.
Jeudi donc, nous avons tartiné des toasts toute la journée, cuit des quiches avec l’aide de ma belle-mère, reine des Quiches, fait revenir des chorizos, rempli le frigo de vin blanc. A 19 h10 on était encore en train de régler les derniers détails quand une nouvelle tête est apparue au-dessus du bar et a dit : « C’est ici, la parisienne à Cali ? ». C’était Monsieur le Député. La soirée s’est super bien passée, pleins de Français sont venus, surtout des profs du lycée, la terrasse était pleine, nous avons dû rajouter des tables, tout le monde a parlé avec tout le monde, bref, c’était super. Ça m’a remonté le moral, un peu comme si finalement mon petit-fils avait fait demi-tour sur l’A4, revenait me chercher avec une Porsche et des tulipes blanches et que le clebs me laissait sa place sur la plage arrière. Sergio Coronado a une manière assez rare d’appréhender sa fonction et la politique, nous avons parlé de sa famille chilienne, de ses années à Bogota, d’Eva Joly, de Noel Mamère, des amis et de Paris, j’ai eu l’impression quelques heures d’être de nouveau journaliste, ou parisienne, c’était merveilleux. Le lendemain il est revenu grignoter chez nous, et nous nous sommes quittés en se disant que l’on se reverrait.
(Jeudi, avec Sergio Coronado et Cécile Lavergne, Conseillère Consulaire auprès des Français de Colombie)
Ce week-end, nous avons eu du monde, des connaissances mais aussi des gens de passage et d’autres qui avaient entendu parler de Biscuit. Cette fois, nous avions deux serveurs, Andres et William, adorables tous les deux, et nous avions gardé Inès. A 19 h 30 samedi, nous n’avions pas un chat et on se préparait psychologiquement á fermer à 19 h 45 et là, nous avons une table de trois, qui venait pour la deuxième fois, puis, dix minutes après, une table de 9 ( !!), un couple qui était venu super vite la semaine passée en promettant de revenir et qui a tenu parole. Plus encore d’autres clients, des amis d’amis, dont une qui parlait français. Finalement, nous avons fermé à 23 heures et nous sommes restés avec un super pote de Sebastián, German, que j’avais connu à Paris lorsqu’ils étaient colocataires. On a picolé sur la terrasse jusqu’à 4 heures du matin, j’ai (encore) fini allumée – à 3 heures, je suis allée danser dans la boite d’à côté, la discothèque gay de Cali, le Queens, personne ne voulait m’accompagner alors j’y suis allée toute seule, 15 minutes, pour voir – et ça m’a fait le plus grand bien. J’étais devenue cette personne qui a un resto et qui décide de fermer pour faire la fête avec ses potes en ouvrant une dernière bouteilles pour la route. Dingue.
(Andrés et William, les serveurs)
Voilà, en gros, le rapide résumé de la semaine.
En conclusion, ça s’est bien passé, on a un peu fait les montagnes russes émotionnellement, c’est très dur, vraiment, très dur, mais aussi très chouette quand il y a des clients, que tout roule á peu près, qu’on te dit que tes fondants au chocolats sont délicieux, que la déco est super, que tu réussis à gérer le coup de feu sans te taper sur la gueule, et que dans ta caisse le soir il y a plus que lorsque tu as démarré la journée.
Nous avons encore beaucoup de choses à améliorer, voire à totalement repenser, parce que les colombiens qui viennent dans un resto français ne veulent pas forcement manger des crêpes. C’est embêtant, n’est-ce pas ? Ils veulent, figure toi, un truc aussi étrange que… de la fondue. Une table de quatre est repartie quand ils ont compris que nous n’avions pas de fondue. Comment ils connaissent la fondue, que j’ai dû manger cinq fois dans ma vie – mais sérieux, tu manges de la fondue par 30 degrés toi ? – ne me demande pas. Mais pour eux, c’est ultra français, un peu comme Brigitte Bardot et Amélie Poulain. Alors nous allons sans doute aménager la carte pour proposer au moins un plat « traditionnel » tous les jours, blanquette, bœuf bourguignon et autres trucs de grand-mère. C’était pas forcément prévu, mais enfin, c’est pas comme si nous n’étions pas habitués à improviser. Je t’embrasse ma choucroute, heu, pardon, ma choupette. La suite dès que je peux. Et je n’oublie pas que tu veux aussi tout savoir de la Colombie, je te parle des mœurs locales ASAP. Ya du lourd et du beau.
(Séquence nostalgie avec le lac Calima, à l'époque où nous avions le temps de profiter des beautés de la Colombie. Ca reviendra!)
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