Une Parisienne à Cali

Une Parisienne à Cali

Un an DEJA!

Le 17 janvier, cela a fait un an que nous sommes partis vivre à Cali. Evidemment, on ne l’a pas fêté, parce qu’on avait complétement oublié, tout simplement. On avait les mains dans la farine et le nez dans la soupe à l’oignons, à moins que ce ne soit le contraire, enfin tu saisis l’image, nous étions ocupados. Mais, il y a quelques jours, en parlant avec un client, je me suis aperçue qu’à force de dire que je vivais ici depuis 8 mois, bah ça devait faire un sacré paquet de beaucoup plus. Et du coup, j’ai compté, et Bam ! UN AN. C’est fou. Je me souviens du jour où je nous avons pris notre carte de membre a Pricesmart, ce supermarché-hangar dont je t’ai déjà parlé qui vend tout en gros pour des familles over-multipares – j’ai du déodorant pour les 10 prochaines années, tu peux essayer de me choper en train de puer la transpiration, accroche toi. Ce jour-là, je me suis dit : « Ma chérie (après m’être dit ‘’Pauvre conne’’ durant environ 35 ans, aujourd’hui je me dis ma chérie, c’est la partie agréable de la maturité…), Ma chérie donc, tu te rends compte que dans un an, quand tu renouvelleras ta carte Pricesmart, bah ça fera un an que tu vivras en Colombie ! ». (J’ai une vie intérieure méga riche. Je ne m’ennuie jamais. Toujours des fulgurances, des réflexions qui ont l’air de rien mais qui en disent tellement. Sebastián m’a aimée pour ça, mon esprit. Mon romantisme aussi). Si tu as bien saisi, ma carte Pricesmart est périmée. DEJA UN AN DONC!

On rigole, mais je suis émue. Il s’est passé tellement de choses en un an que je n’aurais jamais imaginées.

Tu te souviens des « livres dont vous êtes le héros » ? [Je découvre à ce propos en t’écrivant qu’ils les ont réédités pour tablettes!] Selon tes choix, tu te rendais à la page 23 terrasser le dragon aux tentacules de feu ou à la page 65 manger du bouillon de poussin chez ta grand-mère. C’était ta décision. Et chacune de ces options t’emmenait ailleurs dans l’histoire, dans le bon ou le mauvais chemin, tu perdais du temps où tu gagnais des trophées, un arc en peuplier ou une gourde d’eau de salsepareille. J’aime cette idée que nos actes nous aiguillent dans un sens ou dans un autre, ce n’est pas vraiment l’idée de destin, a laquelle je ne sais toujours pas si je crois ou non, plutôt celle du chemin. Où allons-nous ? Demain, ou serons-nous ? Dans quel état j’erre ? Si je tourne à droite, derrière le Canal du Panama, vais-je faire fortune dans la crêpe Suzette ou vais-je me transformer en dépressive siliconée ? Rendez-vous en page 99, paragraphe 154.

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Mon père m’a toujours répété : « Le plus grand luxe dans la vie, c’est le choix ». J’ai mis du temps à comprendre, mais aujourd’hui, je saisis mieux. C’est un luxe qui fait aussi un peu mal cela dit, car l’exercice du libre arbitre exclut la paresse et la facilité, mais c’est un autre sujet. Je pète donc dans la soie et j’ai fait des choix.

Avant de partir de France, je me suis évidemment beaucoup interrogée. J’ai eu peur du grand saut. J’ai retrouvé des photos de mon anniversaire 2013 dans notre appartement vide, a quelques jours du départ, en train de manger du camembert et boire du champagne avec mon père, assis tous les deux sur le vieux canapé blanc devenu gris qu’on abandonnait, un carton comme table basse. Ce jour-là, j’avais le cœur à la fois très froissé et bouffi d’espoirs. Tout notre déménagement était déjà parti dans le container, stocké au Havre avant d’embarquer en bateau sur l’Atlantique, vers  Buenaventura (moche ville portuaire au joli nom), et enfin Cali. On allait devoir squatter quelques semaines chez des amis – merci encore JJ, pour ce sas si enveloppant, derniers jours de pur bonheur à Paris… Puis on prendrait notre vol, aller simple. Tout devenait concret. On ne pouvait plus reculer. Ce projet dont on parlait depuis plus d’un an n’était plus un projet, mais une porte qu’on poussait. C’est une drôle de sensation. J’avais eu un peu la même la nuit qui avait précédé mon mariage, ou celle où je me suis rendue à la maternité après avoir perdu les eaux. Des moments de réels, de ceux qui font qu’il y aura un avant et après, pour toujours, quoi qu’il se passe. Rendez-vous en page 3, paragraphe 7.

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Un an après, nous avons un resto qui marche bien, j’ose à peine l’écrire, mais je crois que c’est vrai. Ça fait longtemps que je ne t’ai pas donné de nouvelles de Biscuit. Apres quatre mois, nous sommes encore dans cet état de légère sidération qui fait qu’à chaque fois qu’un client rentre, s’assoit et demande la carte, on a envie de lui dire : « Merci, vous êtes surs que vous venez ici, chez nous ? ». Mais je n’ai plus cette boule au ventre quand je dois préparer la commande (Et si j’y arrive pas ? Et s’il n’aime pas ? Et si j’ai mis du ciment à la place de la farine dans la pâte à crêpes ? [Ah non, on avait dit qu’on la racontait pas cette histoire-là !]). Je sais qu’on le servira. Nous pouvons le faire. Nous le faisons, de mieux en mieux et de plus en plus.

Nous avons beaucoup de clients fidèles, des femmes surtout, que Sebastián appelle toutes « tes copines ». Souvent je ne sais même pas comment elles s’appellent, mais elles viennent et reviennent, alors on papote un peu. Il y a cette très jolie américaine qui porte toujours des petits shorts en jeans riquiqui et demande une gaufre au Nutella pour son goûter. Ces quatre copines dans la quarantaine qui commandent une bouteille de vin et des Roquefort. Ces dames bien mises qui viennent sans leur mari et rigolent au fond de la terrasse. Ce Monsieur, physique de prof de maths à la retraite, qui vient avec son amie qui n’a visiblement pas toujours été une dame. Les accros à la soupe à l’oignon, les inconditionnels de la tarte Sissi, les ayatollahs du caramel beurre salé, les mordus du Chocorazon. Les couples qui fêtent un anniversaire et photographient les ballons en forme de cœur qu’on accroche a une bougie. Les familles dont les parents dînent en regardant leur iPhone pendant que les enfants poussent leur salade dans un coin. Celles qui viennent au complet, avec les grands-parents et les petits enfants, qui rigolent et parlent fort. Les jeunes qui parlent un peu français mais n’osent pas se lancer et lachent : « Au revoir !» en gloussant en partant. Les amoureux de la France, qui voudraient manger comme chez Alain Ducasse et retournent la carte dans tous les sens à la recherche d’une selle d’agneau rôti, accompagnée d’asperges vertes de Provence et d’un vrai jus perlé. Des étrangers aussi, pas mal. De la famille, des amis. Ceux qui entrent en m’embrassant, « ¿Hola Lorenza, como estas ? », et dont je cherche pendant une heure qui ils sont, en souriant betement – en général, je trouve le lendemain, je ne suis pas du tout physionomiste c’est un vrai problème dans ce métier. C’est chouette, tous ces gens chez nous. Nous avons beaucoup étoffé notre carte, et nous proposons depuis peu des plats du jour, bœuf bourguignon, filet mignon a la moutarde, poulet sauce forestière, terrine de viandes… On s’est organisés. Pour la selle d’agneau rôti, rendez-vous en page 68, paragraphe 190.

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Il y a des jours où mon patron est un gros con ; d’autres où je me le ferais bien sur le plan de travail. Globalement, travailler en couple n’est pas facile du tout. Parfois, j’ai grave la haine contre lui. En plus, il croit que c’est lui qui commande, t’imagines la blague ! Passer 24h/24 ensemble, quand on avait chacun nos vies a Paris, est un sacré virage à négocier. Mais nous savons que cette première année est entièrement dédiée à notre boulot, ensuite, on verra… A nous les Caipirinha a Copacabana ! En même temps, c’est un truc qui serait totalement infaisable et inenvisageable avec quelqu’un d’autre. Bizarrement, alors que nous sommes si différents, nous avons les mêmes idées à peu près au même moment. « Un verre de vin ? Ah OK, balance… ». (Nous avons tout de même trouvé des petits vins corrects ici, du Chili et d’Argentine, principalement).

Voilà, pour le reste, mon acclimatation se poursuit. Hier, je suis allée acheter des DVD pirates sur le marché, 10 (dont Casse tete chinois de Klapisch, j'adore regarder des films francais desormais...), j’ai filé un billet de 50, il m’a rendu 20, le tout sans un mot. Il n’a pas essayé de m’arnaquer quoi : 30 000 pour 10, c’est le prix. Le mec a clairement vu que je n’étais pas une touriste. Que j’étais une fille d’ici, genre (je me suis fait un lissage a la kératine, ça doit être pour ca). J’ai failli l’embrasser. Tu te rends compte que dans un an, quand je te ferai un post bilan de mes deux ans en Colombie, bah ça fera deux fois que je renouvelle ma carte Pricesmart ? Je me demande bien ce qui va nous arriver. Rendez-vous en page 77, paragraphe 907. D’ici-là, prends soin de toi et donne des news. Besos.

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(Photo prises au marché de l'Alameda. Mes sorties sont assez peu variées, cela dit, celle la est parmi mes préférées. Je signale aussi que cette viande ne sent pas mauvais du tout..)



26/01/2015
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