Une Parisienne à Cali

Une Parisienne à Cali

Quand Bridget trouve de la coke dans son jardin

Dios mio de dios mio! Je m’aperçois que ça fait un mois que je ne t’ai pas écrit et à vue de louche (à crêpes), j’aurais pourtant dit 10 jours. Le temps passe tellement vite. Depuis la dernière fois qu’on s’est parlé, j’ai dû casser 700 œufs (jamais de ma vie je n’aurais cru que je pourrais casser autant d’œufs, sans même faire une seule omelette en plus), faire fondre 4 kilos de chocolat, éplucher 10 kgs d’oignons _ ya comme une odeur indélébile sur mes doigts maintenant – me brûler une fois seulement. Me couper un peu les doigts, surtout l’index gauche, huit fois. J’ai dû faire 10 kilomètres entre la terrasse, la cuisine, la caisse, les toilettes (toujours cette satanée vessie), la salle, et je crois, sérieusement, que j’ai une tendinite au talon droit. J’ai dû boire deux litres de sangria (le serveur, en fait une délicieuse, même s’il a tendance à pas mal la goûter si tu vois ce que je veux dire…), manger deux champs de salades (oui, je remange, mais j’évite les crêpes tous les jours vois-tu). Et nous avons dû vendre des centaines de crêpes, on ne sait pas encore combien car le système de contrôle des ventes doit encore être amélioré – enfin, c’est surtout que j’ai une sorte de blocage avec la partie compta-administration, même si Sebastian essaie quasiment tous les jours de m’assoir au bureau pour m’obliger à faire des calculs, des soustractions et d’autres trucs horribles du même genre, ce qui finit invariablement en pugilat en bataille de crêpes ratées qui volent dans le resto, hihihi, oui, on rigole beaucoup (pppfff, comment je me suis retrouvée à travailler avec mon mec, je te jure, la vie est bizarrement faite…).

Enfin, pour te résumer la situation rapidement : ça roule à peu près! Je suis superstitieuse alors je ne voudrais pas offenser Saint Victorien, déjà très aimable avec nous, en lui donnant l’impression que ça y est, je me crois arrivée, mais disons qu’après cinq semaines d’exercice, nous sommes presque à l’équilibre. Tu ne te rends peut-être pas compte, toi dont le salaire tombe tout cuit sur ton compte Boursorama le 28 du mois - moi aussi j’ai connu les joies du salariat - mais c’est énorme. Nous ne sommes pas encore du tout au point sur la partie « Coûts », mais en terme de chiffre d’affaires et de clientèle, ça a bien démarré. Nous avons des clients qui reviennent, qui commandent la même chose, s’installent a la même table, demandent des nouvelles de ta mère même s’ils ne l’ont jamais vue, des fidèles. C’est très émouvant. Sans employer des grands mots, c’est comme une sorte de famille bis. Je suis prête pour ouvrir un bar de nuit. D’ailleurs, avec Marcelo et Andrea, mes amis français de passage à Cali, nous avons déjà expérimenté le concept de la « Biscuithèque », un soir bien arrosé quand les clients étaient partis et qu’on avait mis la musique à fond pour danser entre les tables. Mais bon, non, je ne veux pas devenir Cathie Guetta non plus - la pauvre, t’as vu sa gueule récemment ? Je dois faire gaffe à mon teint.

 

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(La lumière de 18 heures)

 

On bosse toujours comme des bêtes de somme, 14 heures par jour, mais on arrive aussi à se reposer un peu le matin, jusqu’à 9-10 heures, après avoir déposé notre petit garçon a l’école. Lui n’aime pas trop Biscuit, qu’il appelle Gâteau, et ne comprend pas bien pourquoi ses parents doivent travailler – j’essaie de lui expliquer le concept mais ça ne rentre pas trop, sauf quand il vient boulotter des crêpes au Nutella au resto et mettre les doigts dans les prises des frigos (on a quatre frigos, je t’ai dit ?). Nous sommes déjà entrés dans une sorte de routine quoi. C’est fou comme l’être humain est un animal ajustable et flexible. Comme il s’habitue vite au changement, a l’imprévu, au compliqué, à l’impossible, même. On se dit « non, je n’y arriverai jamais », et quelques semaines après, on se retrouve à saluer des vendeurs de pommes aux halles (l’Alameda, ou je fais mes courses de fruits et légumes), l’endroit où on t’avait dit de ne surtout jamais aller toute seule, et où tu as désormais tes habitudes. Le même gardien de place de parking – ici, il n’y a pas d’horodateurs dans la rue, mais des bonhommes accoutrés d’un chiffon rouge délavé, qui te font signe comme si tu étais un taureau urbain, pour que tu viennes te garer sur leur coin de trottoir, ils te surveillent plus ou moins ta voiture et en échange, tu leur donnes 1000 pesos quand tu pars. Le même vendeur de mangues – celui qui ne te prend pas trop pour une américaine. Tu te retrouves à négocier des avocats dans la rue avec toujours la même dame qui passe chaque jour sous ta fenêtre en hurlant « Aguacate » - l’un des premiers mots de notre fils, du coup – et à savoir reconnaître les bons des mauvais. Tu te retrouves à savoir faire un capuccino comme une pro avec ta machine espagnole qui coûte un bras. J’arrive même à faire un discount de 10% sans calculatrice sur une addition, c’est te dire si je suis en voie de professionnalisation (on fait un prix aux employés de notre immeuble).

On bosse beaucoup, donc, et c’est pour ça que je t’écris peu. Pourtant je pense à toi très souvent, en me disant : « Hou, ca, faut que je le raconte sur le blog » Ou au contraire : «  Hou, ca, tu vois, je suis pas sure de pouvoir le raconter sur le blog ». Car mine de rien, même si ceci est un exercice de vérité (quoique), je sais désormais que non, on ne peut pas vraiment TOUT se dire. Dans les coulisses d’un restaurant, il y a des choses qui doivent rester secrètes. Hé ouais. Et je me mets au défi quiconque ayant déjà bossé dans la restauration de me dire le contraire.

Par exemple, je ne parlerai pas de Ratatouille - qui est morte normalement à l’heure où j’écris ces lignes, la petite p… !

Oh oui, il y a tellement d’histoires délicieuses que j’aimerais te raconter. Mais en même temps, j’hésite.

Bon, je vais t’en raconter une bonne, arrivée il y a 1 000 ans – ah, non, c’était la semaine dernière.

 

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(On a investit dans la lumiere extérieure de la terrasse,  car c'est déja Noel ici)

 

La semaine dernière, nous avons dû fermer un mercredi soir, à cause d’un deuil dans la famille.

Nous sommes partis vers 17 heures avec Sebastián. Je m’étais entendue avec Inès, notre aide cuisinière, qui vient de 17 h 30 à 22 heures, plus ou moins, pour qu’elle laisse les clés dans une cachette du jardin de la terrasse avant de partir. Sebastián n’était pas d’accord. « C’est la Colombie ici, tu ne laisses pas les clés dans le jardin ». Oui, mais où sinon ? Bref, je suis têtue tu sais.

Nous allons à la messe. En sortant, il pleut, il fait nuit noire, nous sommes tristes et épuisés. Nous allons au restaurant récupérer les clés. Il est 23 heures, soit H-4 minutes avant de nous crasher lourdement dans notre lit.

23 heures 1 : Gentleman, mon époux me laisse sortir seule dans la nuit, sous la pluie battante, avec ma robe noire et mes talons. Je n’ai pas mon téléphone comme d’habitude et  lui n’a plus de batterie. Notre torche est quelque part, mais pas avec nous. Je n’ai donc pas de lumière. Comme je suis courageuse sous mes airs de Candy, je sors quand même. Notre terrasse est entourée de végétation, dense, habitée, haute, c’est une mini-jungle quoi. Les clés doivent être dans un trou ou l’on branche le tuyau d’arrosoir, sous une pierre, à environ 6 mètres de la voiture. J’y vais.

23 h 20 : J’arrive au trou du tuyau d’arrosoir. Je ne pense pas à ces ombres menaçantes, je ne pense pas aux fous qui le jour, surveillent ta caisse avec un chiffon rouge et le soir, dorment sur ta terrasse, je ne pense pas à mes talons qui glissent sur la pierre mouillée. Je suis Ellen Ripley et Ellen Ripley ne pense pas, elle agit toujours tout droit.

23 h 28 : Je distingue la pierre. Je ne pense pas à l’araignée géante qui pourrait très bien dormir dessus et que je ne verrai jamais. Je la soulève. Je vois un sac en plastique noir. Sans savoir pourquoi, j’ai comme un petit pois de fonte brûlante qui commence à tanguer dans mon estomac. Je me sens observée. Les essuies glace de la bagnole, là-bas, si loin, font le french cancan sur le pare-brise en grinçant. Un truc ne va pas.

23h36 : Je ne vois rien, j’ai la pierre dans une main, et de l’autre, j’ouvre le sac en plastique noir. Dedans, il y un sac en plastique blanc, mou, gros comme un petit pamplemousse. De la coke. Je lâche la pierre, je lâche le sac, je réfléchis à toute vitesse : quelqu’un a pris nos clés pour y mettre sa coke. Un malade quoi. La meeeerde… Je me retourne, les fesses serrées, je ne pense vraiment plus à rien si ce n’est à mon cœur dans mes chaussures, qui me guident toutes seules, à toute vitesse mais sans courir (ne jamais courir ca excite les assassins, tu savais pas ?) jusqu’à la voiture.

23 h 42 : Sebastián me demande si j’ai vu un fantôme, je suis toute blanche. Je lui dit que non, mais qu’en revanche, quelqu’un a pris nos clés pour laisser sa coke dans notre cachette et que c’est la merde.

23 h 50 : Sebastián sort à son tour sous la pluie dans le noir gras de cette nuit pourrie. Il revient. Putain, putain, oui, c’est la merde.

23 h 53 : On est enfermés dans notre voiture, devant le resto, il n’y a pas un rat dans la rue, et on se sait pas quoi dire. Je dis : « ILS doivent nous observer. Tu laisses pas un paquet de coke dans la nuit sans surveillance à un endroit où tu sais que des gens vont venir chercher leurs clés. C’est un piège, ILS nous regardent ».

23 h 54 : Sebastián me fixe et pour la première fois en huit ans, je me dis qu’il va me frapper. Il gueule : « Mais pourquoi tu m’écoutes jamais, POURQUOI ???!!!!!!!! Je t’avais dit de pas laisser les clés dehors ! C’est la Colombie ici ! ». Comme si j’étais demeurée. Je me tais très fort.

23 h 55 : Je me vois en train de rentrer à Paris et vous raconter à tous que c’était chouette la Colombie mais qu’on a dû rentrer finalement, vu qu’on avait le cartel de Cali aux fesses pour une stupide histoire de clés tombées sur la mauvaise personne au mauvais moment, un quiproquo idiot, vraiment. Sebastián décide d’appeler son cousin, celui qui le sort de tous ses mauvais pas depuis qu’il a de la morve au nez. Il est tard et le pauvre a d’autres chats à fouetter, mais bon.

Minuit : R. arrive avec son énorme 4x4 et deux potes. On sent tout de suite qu’il va prendre les choses en main. On respire et pour fêter ça, on sort sous la flotte fumer une cigarette. De toutes façons, j’avais pas eu le temps de me faire un brushing.

0 h 01 : « Loren, aqui c’est pas la France. Aqui es Colombia ». C’est bon j’ai compris. Je le ferai plus. Je vais rentrer à Clichy, t’inquiète. On réfléchit à ce qu’on peut faire. Je ne cesse de répéter qu’ILS doivent nous regarder et ça agace tout le monde. Je dis aussi qu’il faut être sacrément con pour laisser de la coke dans une cachette déjà utilisée par quelqu’un d’autre. Con ou drogué. Malfaisant, quoi qu’il en soit.

0 h 02 : On cherche comment sécuriser le resto puisqu’ils ont les clés. R. a une énorme chaîne, on pourrait l’utiliser. Il appelle le chef de la police, qu’il connaît bien. Il dit qu’il envoie tout de suite une patrouille.

0 h 03 : Toutes ces émotions, ça m’a donné envie de faire pipi, sans compter la pluie. Je dis que je pars faire pipi au resto en face, encore ouvert. Tout le monde s’en fout. Le resto d’en face était en train de fermer en fait, il n’y a plus personne à part mon pote le vigile. Je me déplace dans le quasi noir de cet immense resto vide, et je sens la peur qui monte. C’est bête mais c’est comme ça. Dans les chiottes, je sursaute en me voyant dans la glace. Je trouve que j’ai l’air vraiment moche et con.

0 h 07 : Je reviens vers le resto. Il y a de la lumière à l’intérieur ! Je cours. Un pote de R. me dit que Sebas est entré. Ah bon, mais comment, pourquoi, quand ?  Sebastián et R. sont dans le resto. Deux flics viennent d’arriver. Ils leur expliquent que c’est une erreur, que je suis française et que du coup je comprends rien, que la mère de R. est morte aujourd’hui, que les clés sont là, bref, on s’est gourés quoi. Les flics partent, Sebas et R. rigolent, un peu jaune mais quand même, ça va mieux et moi je comprends rien, c’est vrai.

0 h 08 : On m’explique que dans un accès de courage, les mecs sont retournés dans le noir voir la coke et qu’en fait, dans le sac blanc, bien empaquetées bien serrées dans dix tours de plastique blanc et six tours de scotch, bah il y avait les clés. Ya jamais eu de coke quoi. Juste les clés, mais super emballées parce que tu sais ici c’est la Colombie, alors on sait jamais.

0 h 10 : Jamais de ma vie je n’ai été aussi gênée ni ne me suis sentie si conne. On s’est tous embrassés et on est rentrés chacun chez nous. Jajajaja, voilà une histoire qui finissait bien. J’avais toujours ma boule au ventre

 

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(Araignée du soir)

 

Voilà, voilà. Depuis, les deux petits flics ont leur carte de membres invités permanents à Biscuit. Ils sont déjà venus deux fois, mais à chaque fois ils sont appelés sur une urgence, sans doute une gourdasse qui a pris une souris dans ses chiottes pour un crocodile sur le Nil. Bien sûr, cette histoire va me poursuivre pendant 20 ans, mais bon, je jouerai le jeu stoïquement. La leçon a tirer, c’est que je devrais jamais être envoyée en mission dans le noir récupérer des paquets la nuit à Cali, parce que non, je ne suis pas Ellen Ripley et que moi, les aliens me boufferaient tout de suite, dans les 40 premières secondes du film. Car en vrai, je suis Bridget Jones (mais moi je ne suis pas refaite cela dit).

 

Bon, je m’arrête là, le pire c’est que j’en ai d’autres sous le coude, mais comme ça ça nous obligera à nous revoir. Salutations sincères.

 

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(En ce moment, tu peux pas marcher pieds nus, ya des betes partout en train d'agoniser, c'est la saison)



06/11/2014
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