Une Parisienne à Cali

Une Parisienne à Cali

Mi amor, mi corazon, mi vida (avec aussi des malotrus dedans)

En France, il y a des commerçants chez qui tu entres la peur au ventre : va-t-il cracher dans mon capuccino ? Si je change de plat une minute après la commande - ma spécialité - vais-je me faire traiter comme une schizophrène échappée de Sainte-Anne? Si je demande une taille plus grande à cette vendeuse-qui-aurait-pu-être-mannequin-si-elle-avait-accepté-de-coucher-avec-Terry-Richardson-mais-malheureusement-il-ne-lui-a-jamais-demandé-alors-elle-vend-des-Tshirts-à-120euros-mais-putain-ça-l'emmerde-graaave, va-t-elle me dire que non, la marque préfère ne pas ruiner son image en laissant ses créations être portées par des boudins?

Bon, j'exagère un peu, c'est une ex-timide qui te parle, mais tu vois ce que je veux dire ? (Aujourd'hui, j'adore me battre avec les cons, c'est la maturité je crois...).

Sans vouloir céder à la facilité du cliché, on peut dire que les Français, les Parisiens surtout, ont une manière de rabrouer les touristes qui te pousse à chercher où est la caméra cachée : on ne peut pas naturellement être aussi désagréable avec un client. Il doit y avoir de la moustache de Jacques Rouland là dessous. Mais non.

Les serveurs, notamment, ont le chic pour donner aux étrangers l'impression d'être plus nuls que le dernier des cafards de Pigalle. Les Japonaises, surtout, avec leur petit air soumis et éternellement ravi, me font spécialement de la peine. On sent que pour elles, ça va être la boucherie à Montmartre.

 

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J'ai déjà eu vraiment honte de mes compatriotes. J'ai même failli dénoncer une commerçante des Abbesses auprès du Ministère du Tourisme. Elle avait prétendu ne pas savoir où était l'entrée du funiculaire, situé à 20 mètres de son pas de porte (c'est de ma faute si je n'ai pas le sens de l'orientation, même après 23 ans passés à Paris?).

Ici, c'est exactement l'inverse.

Non seulement, les professionnels sont professionnels, mais en plus, ils sont CHAR-MANTS. Comme si cela leur faisait vraiment plaisir d'aller te chercher un chariot quand tu croules sous les bananes plantain au supermarché (il n'y a pas que les animaux qui sont énormes, les fruits aussi, je te montrerai plus tard), de te raccompagner jusqu'à la porte d'entrée quand tu sors d'une boutique sans avoir rien acheté mais après avoir farfouillé dans tous les rayons (je t'ai déjà dit que j'avais du mal à trouver des fringues à mon goût ici), de t'enfiler tes tongs avec 1000 précautions quand tu viens de te faire une pédicure mais que tu n'as pas le temps d'attendre que ça sèche (je t'ai pas dit, je suis blonde, avec des mèches).

 

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Mais le mieux, ce dont je ne me lasse pas, ce qui à chaque fois me fait piroueter le cœur dans la poitrine de joie, ce qui me donne envie de chanter Charles Trénet et de refaire des claquettes (tu noteras le RE-faire) c'est la manière dont les vendeuses - il s'agit plus souvent de femmes - appellent leurs clients.

On te donne plus de jolis noms que tu n'en entendras jamais dans une vie de femme normale - tu as peut-être épousé un mec lyrique, moi j'ai la version cow-boy.

- Tu veux quoi avec ton kilo de poireaux, mi Reina ?"

- "Encore un peu de poitrine de porc, mi Corazon?"

- "On fait aussi les aisselles, mi vida?"

[Tu noteras que j'ai des activités très variées]

On te dit pleins de petits mots gentils, comme si on te connaissait depuis 20 ans et que tu étais l'être le plus délicat et précieux du monde. La vendeuse colombienne en fait, c'est ta mère, en super sympa ("Hey, salut M'man!").

En vrac, on te dit "linda", "niña", "divina", "princesa", "amiga" et d'autres douceurs sémantiques qui mettent du sucré dans les échanges.

Parfois, je me dis que c'est juste pour me vendre plus de trucs.

Parfois, je me dis que plus, ce serait vraiment étouffe-chrétien.

Mais au fond, je m'en fous.

Ca me fait sourire, ça me met de bonne humeur, et ça me fait sentir un peu colombienne : si on me parle comme ça, c'est qu'on part du principe que "j'en suis" - du clan des gens sympas et cool qui n'ont pas besoin de se cracher mutuellement à la figure pour bien finir leur journée.

 

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Pour ça, au moins, je ne regrette pas Paris.

Pour tout le reste aussi. On en reparlera.

Je te laisse, je dois réviser mes conjugaisons - je suis toujours incapable de m'exprimer au passé simple, c'est un handicap.

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[Photos prises dimanche, lors d'une fête de la Saint Firmin, au cours de laquelle on défie des vachettes - pas de mise à mort, bien sûr, même si la corrida est pratiquée en Colombie]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



28/07/2014
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