Une Parisienne à Cali

Une Parisienne à Cali

La fille qui ne pouvait plus s'asseoir et autres contes

Logiquement, plus le temps passe, et moins mon nouvel environnement m'étonne. Je rabâche un peu excuse-moi, mais c’est un thème ultra prégnant pour moi, je ne sais pas pourquoi, comme si j’avais peur de me perdre un peu en me colombianisant, alors même que j’en tire aussi une immense fierté. Dès que je parlerai correctement – correctement, ça veut dire être capable de conjuguer les verbes au passé et au conditionnel, c’est cool de vivre au présent, mais bon, ça limite un peu aussi les échanges… -  je demanderai la nationalité colombienne. Ça m’amuse et avec un fils franco-colombien, je trouve ça chouette, d’autant que je suis partie pour rester ici jusqu’à ce que je sois ménopausée, édentée, plus épilée de la moustache, voire complétement morte. Alors autant naviguer vers l’au-delà avec un passeport étranger, on ne sait jamais, ça donne peut être des points en plus au paradiso : les Champs Elysées derrière le strato-cumulus Q12, et les Caraïbes devant le cirro-stratus B19. L’embarras du choix de l’Alegria.

Ah non tout va bien, je te jure, pourquoi ? C’est vrai que je pense un peu à la mort en ce moment, mais c’est plutôt un signe de vitalité, non ?

Bon.

Ce que je voulais te dire, c’est qu’au lieu de repousser toujours la rédaction de ces posts, jusqu’à complétement oublier ce que je voulais te dire, voire à ne pas t’écrire du tout, et finalement, ne plus noter ce qu’il y a de si exotique ici, je vais essayer de t’écrire le plus possible, quitte à ce que ce soit court, décousu et plein de fautes. Un quicky, en somme, mais en post (Oui, Maman, c’est exactement ça, c’est un autre mot pour désigner le Quick, mais petit […]).

Le but, évidemment, c’est qu’on y trouve tous les deux notre compte tout de même, sinon, tu vas relire Proust, et franchement, ça m´ennuierait.

Allez, enlève tes chaussettes, écarte les yeux, c’est parti.

 

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(Procession dans la Novena)

 

1/ Bénie sois-tu

Hier, j’ai surpris Bertha, notre aide cuisinière, qui s’occupe désormais de faire la soupe  à l’oignon (on a beaucoup délégué dans la cuisine pour que je puisse faire des quickies avec toi, notamment) en train de faire le signe de croix sur la casserole. Diable ! Nous faisons 3 litres de soupe à la fois, on utilise donc des casseroles professionnelles immenses, et au moment de fermer le couvercle pour laisser mijoter 45 minutes, elle a largement béni la casserole, haut bas gauche droite, en grommelant un truc dans sa barbe.

-          Tu fais quoi Bertha ?, je lui dis fourbement.

-          Je bénis la soupe, pour qu’elle sorte bien.

-          …

-          Je fais ça avec tout, les corazones aussi (elle cuisine aussi les petits cœurs d’amandes)

-          Bon, bah j’espère que ça marchera, hein, Bertha. Merci, c’est très gentil. Dieu t’entende.

N’y voyons aucun signe de rien, mais cette soupe était assez ratée.

Comme 99% des colombiens, surtout de son âge – elle a la cinquantaine et a commencé  à bosser a 13 ans, après un passage anecdotique sur les bancs de l’école – Bertha vit avec dieu. C’est très contagieux. Je suis juste baptisée, et le niveau en dessous de « pas pratiquante ». Il m’arrive souvent de m’en remettre à Lui, même si je sais que la meilleure manière de s’en sortir, ça reste toujours de se sortir les doigts du cul. Mais bon, j’ai pris des tics. Le 15 mai, je crois, il y a eu une grande procession pour la Vierge, la rue a été bouclée, tout le monde défilait avec des bougies en chantant. A la place du délégué CFDT qui gueulait dans un mégaphone, c’était le padre Francisco qui louait Marie avec des tremolos dans la voix – ce qui sent beaucoup moins la saucisse à l’oignon, je te le confirme. J’ai couru, abandonnant le resto et l’équipe morte de rire, pour prendre des photos. Bien sûr, ma batterie était morte, mais c’était très beau, j’ai pu sauver une ou deux images. Ce qui me plait surtout, depuis toujours, c’est l’esthétique religieuse, et ici, je suis servie.

Hier encore, en parlant avec Norberto, notre serveur du week-end, celui qui ressemble à Monsieur Propre, j’ai découvert qu’il était Christianiste, je ne sais pas comment on dit en français, je ne sais même pas si ça existe, mais c’est une église parallèle qui s’apparente à ce que nous nommerions une secte. L’Amérique latine est remplie de ces paroisses animées par des prédicateurs plus ou moins charismatiques. Dans des villages de 2000 habitants, comme au Darien (lac Calima), on trouve jusqu’à six églises différentes, blindées tous les dimanches.

Norberto doit suivre à la lettre les enseignements du Christ, ne peut pas boire, ne peut pas approcher de femme mariée, doit de préférence épouser toute dulcinée (il a d’ailleurs quitté deux ans son église lorsqu’il a rencontré une jeune fille qui ne partageait pas ses croyances, puis a rompu et a rejoint le giron religieux…). Jusque-là rien de très inhabituel, mais il verse aussi 10 % de ses revenus à sa paroisse, qui compte plus de 2000 membres, ce qu’il trouve tout à fait normal, car, dit-il, les frais de fonctionnement sont très élevés – et encore, ils n’ont pas à payer le chauffage… Il vit littéralement pour expier ses péchés, ce qui, de son propre aveu, est quasi impossible, car l’Homme est un sacré coquin et la somme de ses erreurs incalculable. J’aime bien Norberto, même si nos échanges sont très limités- il n’est pas du genre bavard, hier c’était vraiment un hasard, en général il se contente de me passer les commandes en écorchant tous les noms des plats, une « rokefor » - mais derrière son physique de catcheur, je décèle une douceur un peu étrange et mélancolique. J’avais envie de lui dire que la vie était belle et que, même s’il était un gros vilain pêcheur, il avait droit à un peu plus de plaisirs. Mais évidemment, je me suis tue, parce qu’en réalité, je ne sais rien de son existence.

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(Messe du dimanche au Centre commercial, Centenario un peu comme s'il y avait un office a La Défense...)

 

2/ Quel temps, hein, quel temps ?

Hier, mon fils n’est pas allé à l’école parce qu’on n’a pas pu sortir de la maison. Il y a eu une coupure de courant à cause de la pluie, les plombs ont sauté dans le quartier, comme environ deux fois par mois, et au moment de sortir, vers 7 h 30, nous n’avons donc pas pu ouvrir la grille électrique. Certes, Sébastian aurait pu s’arc bouter sur la dite grille, lui poussant moi tirant, et la faisant venir par secousses de 10 centimètres, nous aurions pu finir par l’avoir, s’il y a avait eu un incendie par exemple. Mais nous nous réveillons avec le dos tellement plein de fatigue qu’on s’est vite rejetés sous la couette, en ayant pris soin de brancher Netflix pour notre fils – Nonce Paolini, moi je ne suis pas hypocrite, je suis tout à fait d’accord avec toi, « le meilleur baby-sitter que l'on connaisse c'est encore la télévision » – et gagner une heure de sommeil en plus.

En ce moment, il fait terriblement froid le matin, ça tombe sous les 21 degrés. Là par exemple, je suis en jeans sans avoir chaud, et hier j’avais même des manches longues... On est tous assez perturbés. Surtout il pleut beaucoup, ça ce n’est pas une blague, ça draine des torrents de flotte, parfois de boue, c’est pour ça que le goudron des rues se soulève, ça ruisselle partout. Quelques jours plus tôt, Sébastian a même dû rebrousser chemin en allant à l’école encore, parce que la fameuse Sexta dont je te parle toujours était complétement inondée. Face au centre commercial Chipichape, des voitures flottaient au milieu de la rue… Les colombiens, avec leur sens de l’humour légendaire ont mis des blagues en ligne dès le lendemain, sur le thème « le nouvel aqua parc de Chipichape a ouvert » ou d’autres images virales comme celle-ci.

 

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Ici, donc, on apprend à avoir toujours une torche a portée de main, au pire des bougies, on passe des matinées sans internet et on évite des trous de la taille d’une météorite. Je te montre le dernier en date, il était dans ma rue, il est vraiment bien réussi, et j’adore la manière dont il a été signalisé par une âme charitable qui avait trop de lattes dans son lit.

 

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3/ Tu veux du pain avec tes pates ?

Hier j’ai fait des lasagnes, et au moment de servir, Inès avait préparé un panier de pain.

-          C’est pour quoi le pain ?

-          Bah pour les pâtes.

-          Mais vous mangez du pain avec vos pates ?

-          Ben oui…

Bon. J’ai vainement tenté un : « Ici c’est un resto français, on ne mange pas de pain avec ses lasagnes, et pourquoi pas du riz aussi ? », et puis le serveur est arrivé en disant : « Il est prêt le pain ? », et Sebas a téléphoné pour dire : « Tu oublies pas de servir du pain avec les lasagnes », donc j’ai remballé ma remarque de française qui croit que le monde tourne autour de Kayzer – qui, soit dit en passant, s’est installé à Bogota. D’autant que je suis sûre qu’il s’en trouve pour manger du pain avec leur riz. Et la table a demandé du refill de baguette…

C’est court comme histoire, mais je t’avais prévenu.

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4/ Bonne fête Maman

La fête des mères est passée chez nous, c’était le 10 mai, comme aux Etats Unis. Ici, la maternité est glorifiée a un point assez dingue, ce serait même l’occasion de rédiger un vrai post, un jour ou on aurait du temps pour se faire une complète – oui, Maman, une jambon fromage, c’est ça… Ce jour-là, tout le monde te congratule. Le vendredi, les architectes au-dessus de chez nous ont offert des gâteaux a toutes leurs collaboratrices – ils se fournissent chez nous évidemment – pour les féliciter. Le dimanche, les restos sont archis blindés. Nous avons donc décidé d’ouvrir exceptionnellement, avec un menu spécial.

J’ai aussi vu passer cette image qui m’en a bouché un coin : la mairie a décrété le port d’armes interdit pour le week end de la fête des mères. So nice… Naïvement, comme d’habitude, je me suis demandé qui étaient tous ces gens qui possédaient une arme. Visiblement, ils sont nombreux. Le principal, c’est qu’ils aiment aussi leur maman.

 

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5/ L’histoire de la fille qui ne pouvait pas s’asseoir

Hier, à 20 heures, entre une nouvelle table. Deux jeunes filles, très jolies, avec le combo habituel, cheveux aux fesses ultra lisses et brillants, les seins qui ont deux mètres d’avance sur chacun de leurs mouvements, et un halo de DKNY (en fait, je ne sais pas ce qu’elles portent mais elles sentent - bon - toutes pareil) qui les entoure. Une des deux, vraiment très jolie, reste debout. J’étais dans le bureau, et William le serveur vient me chercher :

-          On aurait un coussin ?

-          Un coussin, pourquoi faire ?

-          Une des clientes ne peut pas s’asseoir, elle vient juste de se faire opérer des fesses.

Evidemment, je bondis de ma chaise pour aller voir.

La nana portait une très mini-jupe, dans lequel son petit derrière ravissant était comme emballé, très serré. Au-dessus, elle portait une autre jupe, très longue, quasi transparente, faite de deux pans.  Un peu ennuyée, elle dit qu’elle va rester debout, du coup. Parce que je n’ai pas de coussin. J’ai l’oreiller qui nous sert à faire des siestes a même le tapis quand on n’en peut plus, mais pas la bouée dont aurait eu besoin notre cliente. Cela dit, si j’étais elle, je me baladerais avec : quand je me suis fendu le coccyx, je ne sortais nulle part sans ma bouée. Et si je me faisais regonfler le séant, je saurais choisir les objets adéquats. Bref, cette histoire m’a beaucoup amusée, j’ai trouvé génial en fait que la nana sorte dîner les prothèses à peine posées, qu’elle ne s’en cache pas – excusez-moi, auriez-vous de la préparation H s’il vous plait ? – et que dans un pays où les apparences sont si importantes, elle assume d’attirer tous les regards en mangeant sa crêpe au roquefort en plein milieu du resto, tranquille, debout, sa copine assise à côté d’elle. C’est que la chirurgie esthétique est ici totalement banalisée. Comme dit Sébastian : « Il n’y a pas de femmes moches en Colombie, il n’y a que des femmes pauvres ». Si tu as les moyens de te refaire les fesses, tu attires surtout la convoitise - l'admiration? J’espère qu’elle reviendra, qu’on puisse admirer le résultat final.

[NB : Penser à acheter une bouée de fesses]

 

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(Ici, on croise de pures bombes atomiques quasiment tous les jours, des filles presqu'irréelles dont les proportions défient les lois de weight watchers. J'essaie de les prendre en photo, mais je dois t'avouer que c'est tres difficile, j'ai toujours peur qu'un mec déboule pour me mettre la tete au carré. Alors, je les garde pour moi.)

 

Voilà Pimprenelle abricotée, mine de rien, j’ai réussi à te dire pleins de trucs. Il y a des quickies qui valent mieux que de longs discours. Mille baisers d’ici.

 

 

 



01/06/2015
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