Une Parisienne à Cali

Une Parisienne à Cali

Carole Bouquet, les travaux et moi

Je crois que tu ne sais pas ce que c'est de vieillir avant de voir tes joues commencer à ressembler à du carton ondulé et non plus à une pêche de juin. Tu ne sais pas ce que c'est que d'avoir un enfant avant de te retrouver à nettoyer du caca diarrhéique un dimanche à 6 heures du matin alors que tu as un lumbago, des renvois de champagne et un mec qui dort. Et tu ne sais pas ce que c'est que de faire des travaux avant de te retrouver avec des envies de meurtres à chaque fois que tu rentres sur ton chantier et que tu vois qu'il y en a encore pour 6 mois de boulot quand tu ouvres ton resto dans 3 semaines.

Je vais faire en sorte que tu n'en pâtisses pas, mais je te préviens, je suis un peu stressée.

Laisse moi deux secondes, je vais aller crier au fond du jardin et torturer un nazi en fauteuil roulant.

....

 

Merci.

Je suis un peu comme Carole Bouquet dans Travaux, on sait quand ça commence, comédie française finalement pas si pourrie. Pas pour le côté beauté-froide-ex-James Bond Girl, non. Si j'avais été James Bond girl, tu te doutes bien que tu le saurais déjà, ça clignoterait là en haut à droite et ça figurerait sur ma carte d'identité. Non, mais Carole et moi, sur ce coup-là, avons en commun d'être dans les mains de travailleurs colombiens. Et de ne pas tout comprendre lorsqu'ils parlent - Carole, c'est normal, moi, va falloir que je mette le turbo niveau spanish.

 

Je ne me souviens plus du film, mais je sais que pour Carole, ça se terminait bien. J'espère que moi aussi, dans pas longtemps, quand j'aurais réussi à enlever l'enduit de derrière mes oreilles et que j'aurai de nouveau une manucure correcte (entre le vernis écaillé sur les mains et mon doigt de pied trompette de la mort, c'est pas la fête de l'Essie), je rirai avec élégance en buvant une coupe de champagne et en admirant mon restaurant parfaitement rénové.

 

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Pour le moment, c'est ambiance Beyrouth 1975.

Ce qui est drôle, c'est que le local que nous avons pris était quasiment utilisable en l'état. Le genre, tu mets ton four de  70 kgs, ton batteur multi-fouette, tes mini-moules, tes spatules, ton tablier, ta caisse enregistreuse, ton sourire et tu commences à réfléchir dans quoi tu vas investir tes milliards (on y est vite : 1 euros, c'est 2550 pesos, un million de pesos, c'est donc un peu moins de 400 euros). Avant nous, il y avait déjà un resto et encore avant, un café genre Starbucks. La bonne nouvelle, c'est qu'il restait donc un grand frigo, des jolies lampes de plafond, une cuisine professionnelle quasiment équipée, avec une grande hotte (quand on est pro, on dit "extracteur", je te le dis pour que tu puisses te la péter un peu toi aussi), un immense évier en inox pour la vaisselle, des étagères, un truc pour ranger les verres. A vrai dire, même la peinture, rouge, était pas mal.

Mais partant du principe qu'il est suspect de faire simple et rassurant de faire compliqué, nous avons décidé de tout refaire.

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 (Ca, c'est une vue de la cuisine 1. Oui, nous avons deux cuisines, tu verras)

 

Bon, tout refaire, non, j'exagère. Disons que si l'on accepte le postulat de Carole, je peux te dire que nous avons commencé le 1er août. Mais te dire quand on va finir, autant t'expliquer pourquoi la terre est plate. Là, tu te dis : "Si après 20 jours de chantier, elle est déjà en train de péter un câble la pauvrette, elle va pas nous finir l'année en bonne santé". Je sais. Je te demande, à toi, si tu te regardes pas un peu trop le nombril quand tu pleurniches parce que c'est (bientôt) déjà l'automne et que t'as même plus la trace du maillot ? Non. Alors soyons bienveillants les uns envers les autres, veux-tu?

Nous avons décidé de virer tous les meubles qui restaient des précédents locataires. Ce que je ne t'ai pas dit, qui a tout de même son importance, que l'on soit superstitieux ou pas, c'est que tous les commerces qui nous ont précédés ici se sont cassés la gueule. C'est la mauvaise nouvelle. Ou en tous cas, ils n'ont pas duré. Je ne veux pas penser de travers, mais tu vois ce que je veux dire #TeamMalaSuerte? Pourtant, l'endroit est super bien placé, bien agencé, et avec une top terrasse...

Ecoute, la peur n'évite pas le danger (ça aussi, je le tiens de Carole, on a sympathisé du coup, elle et moi, elle est très rigolote sans ses lunettes et pas froide du tout en fait si tu vois ce que je veux dire...) alors on va essayer de faire mentir les statistiques. Qui vivra verra bien si ça valait la peine d'être vu ou si c'était du tout vu (je t'ai dit que j'étais fatiguée et stressée, en plus je me réveille tous les matins à 5 heures, toute seule, et je me rendors très mal, en me grattant les mollets au sang, eux qui sont toujours, après presque 7 mois de tentatives de fraternisation, assaillis par ces enfoirés de moustiques).

 

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Très classiquement, nous refaisons toutes les peintures. Mais qui dit refaire les peintures, dit remettre du mastic là où il y des trous (et il y en avait), puis de l'enduit (à moins que ce ne soit la même chose, à vrai dire, j'ai pas bien saisi), puis poncer (ça, j'en suis sûre), puis peindre la couche 1, puis la couche 2. Parfois, il faut reponcer en cas de rugosités, et donc, repeindre. Si tu as un dégâts des eaux là-dessus, alors là, mon ami... Bon courage. Un mur peut mettre un an à se remettre d'un dégâts des eaux et à absorber toutes ses larmes. On pourrait parler de chagrin d'amour de mur, généralement causé par les voisins - n'y voit aucune allusion.

 

Du coup, je passe ma vie à Homecenter, c'est un peu comme Leroy Merlin, en plus grand (tout ici est plus grand), avec plus de choses de déco. A Homecenter comme partout ici, il y a une armée de vendeurs-collaborateurs. Ils doivent être 100, je sais pas. Et bien je les connais tous par leur prénoms... Eux me hèlent dans les allées: "Hola Lorenza!" - ici, je suis Lorenza, oui. J'ai pas pensé à en parler à Carole, elle doit connaître ce sentiment. Entre les travaux pour notre appart et aujourd'hui le resto, cela fait 7 mois - déjà 7 mois tu te rends compte ! - que je vais environ 3 fois par semaines à Homecenter. A tel point que quand on passe devant, mon fils de 2 ans et demi qui ne parle pas, dit : "Ici, ici!". C'est sa seconde maison, quoi.

 

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La vendeuse du rayon peinture,  qui s'appelle Fayzulli et qui est très étrange, essaie de faire amie-amie avec moi depuis un mois. Je pense qu'elle n'a jamais vu de Parisienne. Quand je ne viens pas pendant 2 jours, elle me dit : "Ah, mais t'étais où!?". Elle me pose des questions sur mes cheveux (j'ai fait une colo ratée, j'étais orange, elle a adoré), me demande s'il y a Homecenter en France - je crois que je vais lui dire de postuler à Leroy Merlin Saint-Ouen - et me regarde toujours TRES bizarrement. Ca fait 5 cinq fois qu'elle me demande si je vis vraiment ici et que je lui dit que oui, que j'adore la Colombie. A chaque fois, elle plisse un peu les yeux et me regarde en chuintant : "Ttttsssuummm..." Qu'une fille de Paris vive de son plein gré à Cali, ça leur en bouche toujours un coin.

 

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Ce qui est bien, c'est que j'enrichis vachement mon vocabulaire, avec des mots qui font croire que je vis ici depuis 45 ans, car, franchement, qui parmi vous sait dire papier de verre, plinthe, vis, devis, stuc, contreplaqué, ciment, carrelage, prise, ampoule, hotte? On a les satisfactions que l'on peut. Mais je ne sais toujours pas parler au passé - faut-il y voir un signe? - et je continuer de confondre "yo me caigo" et "Yo me cago" (je suis tombée et je me suis chié dessus, plus ou moins). Inutile de te dire qu'il m'arrive de prendre la parole avec anxiété.

 

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Cependant, les travaux avancent, faut pas croire. Carole m'a expliqué que tout cela fonctionnait par paliers, avec des moments où tu penses que tu ne t'en sortiras jamais et d'autres où tu vois enfin le bout de la espátula.

La peinture est quasi finie, le cuisine en voie d'être propre, il nous reste à fabriquer pas mal de meubles, une grande table en bois, une sorte de bar, les cadres sont prêts, les banquettes rouges aussi, les chaises sont en train d'être finies, nous avons le devis de la vaisselle. Il reste à penser la terrasse et son éclairage (sachant qu'ici, on vole tout, y compris les ampoules extérieures, ce qui explique que les arbres sont souvent enroulés de fil de fer barbelé, c'est convivial...), déterminer si on se lance dans les conserves ou non, plus autres 1001 bricoles. Il faut encore aussi finaliser le design du menu, des cartes de visite, installer une ligne de téléphone et internet, faire la salle de jeux pour les enfants, repeindre la façade, ... Je voulais faire un espace galerie d'art mais je n'ai pas encore trouvé l'artiste totalement adéquat. J'ai un plan cependant, je dois trouver le temps de le rappeler.

Bon, j'arrête là, je voudrais pas te stresser.

Mais ça va tu sais. Je suis contente. J'ai l'impression de faire un truc dingue. Je me demande vraiment comment seront les mois qui vont suivre, si nous serons seuls avec Sebastian dans notre resto vide - mais bien refait - ou si nous allons courir comme des fous dans tous les sens, moi rouge (j'ai le teint picard, malheureusement) et lui en sueur, pour servir des andouilles-oignons-crème fraîche. Impossible de savoir.

Allez, je t'embrasse, Maman met ton gilet, je sais que ça caille.

 

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20/08/2014
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